Prise de position de l’AMM sur le bien-être des médecins


Adoptée par la 66ème Assemblée Générale de l’AMM, Moscou, Russie, Octobre 2015
et révisée par la 76ème Assemblée générale de l’AMM, Porto, Portugal, octobre 2025

 

PRÉAMBULE

L’Organisation mondiale de la santé définit la « santé » comme « un état de complet bien-être physique, mental et social » et le « bien-être » comme « un état positif vécu par les individus et les sociétés. Semblable à la santé, c’est une ressource pour la vie quotidienne et elle est déterminée par des conditions sociales, économiques et environnementales ». Les médecins, comme tous les êtres humains, sont confrontés à des défis personnels, institutionnels et systémiques qui nuisent à leur bien-être. Pour les médecins, il peut s’agir de maladies mentales, de handicaps et de blessures liés au travail, ainsi que de stress et d’épuisement professionnels souvent causés par des pénuries de ressources humaines et autres, ainsi que par des pressions politiques axées sur la performance.

La Déclaration de Genève de l’AMM prévoit que le médecin s’engage à veiller « à [s]a propre santé, à [s]on bien-être et au maintien de [s]a formation afin de prodiguer des soins irréprochables », reconnaissant que le bien-être des médecins peut avoir un impact positif sur les soins aux patients et la santé publique. Inversement, les problèmes liés au bien-être des médecins peuvent mettre les patients en danger, compromettre les relations des médecins avec leurs patients et leurs collègues et saper la confiance du public dans la profession.

La relation entre le bien-être des médecins, les soins aux patients et la santé publique est également soulignée dans le Guide d’élaboration et de mise en œuvre de programmes de santé et de sécurité au travail pour les agents de santé de l’Organisation internationale du travail et de l’Organisation mondiale de la santé, un document important donnant un aperçu des éléments clés et des résultats attendus des programmes nationaux de sécurité au travail permettant de favoriser le bien-être des médecins, de réduire les risques liés au travail et de prévenir les maladies professionnelles chez les agents de la santé, y compris les médecins.

Risques et obstacles au bien-être des médecins 

Rôles et attentes professionnels

  1. La profession médicale attire souvent les personnes mues par un fort sens du devoir. Le fait de réussir le long et intense cursus de formation confère aux médecins un grand respect et de grandes responsabilités dans la société où ils évoluent.
  2. Compte tenu de ce haut niveau de respect et de responsabilité, les médecins suscitent beaucoup d’attente de la part des patients et de la population au sens large. Ces attentes peuvent contribuer chez les médecins à donner la priorité à la prise en charge des autres et non d’eux-mêmes et à générer un sentiment de culpabilité et d’égoïsme s’ils s’occupent de leur propre bien-être.
  3. Leur souci de la confidentialité et leur crainte d’éventuelles conséquences professionnelles expliquent en partie pourquoi les médecins tardent à demander des soins ou de l’aide. S’y ajoutent la stigmatisation et une culture médicale dominante qui les dissuade de se montrer vulnérables.

Facteurs influençant le bien-être des médecins

  1. Les conditions de travail y compris la charge et les horaires de travail jouent sur la motivation du médecin, sur la satisfaction que lui procure le métier, sur sa vie personnelle et sa santé physique et psychologique tout au long de sa carrière.
  2. Les médecins peuvent être exposés à une variété de risques professionnels, notamment physiques (radiations, bruit, produits chimiques), infectieux ou liés à des conditions de travail non ergonomiques (en particulier pour les disciplines chirurgicales et autres spécialités impliquant de longues périodes de station debout et un effort musculo-squelettique important). Les médecins employés par de petites organisations ou installés à leur compte peuvent même courir davantage de risques professionnels et ne pas avoir accès aux programmes de santé et de sécurité mis en place par les grands établissements de santé.
  3. Les étudiants en médecine, les médecins en formation postdoctorale et les médecins sont souvent confrontés à des situations émotionnellement stressantes et traumatisantes dans l’exercice de leur profession. Ils peuvent également être victimes de violence.
  4. Les étudiants en médecine et les médecins en formation postdoctorale peuvent être victimes d’intimidation, de harcèlement et de discrimination au cours de leur cursus médical. En raison de leur place dans la hiérarchie médicale, ils ne sont peut-être pas en mesure de faire face à de tels comportements.
  5. L’autonomie est l’un des facteurs essentiels de la satisfaction des médecins, et de leur capacité à fournir des services de santé de haute qualité. Les pressions règlementaires croissantes comme l’accent excessif mis sur la rationalisation des coûts, le poids croissant des tâches administratives et techniques, le souci des conséquences du signalement des erreurs médicales, et les poursuites pour faute professionnelle peuvent influencer la décision médicale et nuire à l’autonomie du médecin.
  6. Dans des cas extrêmes, des tensions d’ordre émotionnel et physique peuvent survenir dans l’environnement des soins de santé lors de situations d’urgence nationales ou mondiales telles que des actions professionnelles, des catastrophes naturelles, des pandémies et des conflits armés. Les conditions d’exercice difficiles, le manque de ressources humaines et matérielles et la pression de devoir prendre rapidement des décisions contribuent à rendre éprouvant l’environnement de travail des médecins et favorisent les risques d’épuisement professionnel.

Risques pour la santé mentale, stratégies de prévention et traitement pour les médecins

  1. Les médecins courent un risque accru de développer des troubles mentaux en raison de divers facteurs. Bien qu’ils soient conscients de l’importance d’un diagnostic et d’un traitement précoces, certains médecins peuvent dissimuler leur maladie et retarder la recherche d’une aide jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus remplir leurs obligations professionnelles. Des obstacles tels que le déni, la désensibilisation aux problèmes, les préoccupations liées à la confidentialité, la réticence à assumer le rôle de patient, la peur des mesures disciplinaires, la perte potentielle des privilèges de pratique, la confiance en une autothérapie, ainsi que l’absence d’un accompagnement systémique sont autant de facteurs qui contribuent à cette réticence. Les problèmes de santé mentale et comportementale, y compris, mais sans s’y limiter, la dépression, l’anxiété, l’épuisement professionnel et les troubles liés à la consommation de substances, se conjuguent souvent avec des problèmes physiques et cognitifs tout au long de la carrière d’un médecin, ce qui a un impact à la fois sur son bien-être personnel et sur les soins prodigués aux patients. L’aspect mental du bien-être des médecins est abordé plus en détail dans la prise de position de l’AMM sur la santé mentale des médecins.

 

RECOMMANDATIONS

L’Association médicale mondiale recommande à ses Membres constituants et à leurs membres de reconnaître et si possible de suivre les recommandations suivantes :

Plaidoyer au niveau du système

  1. Les membres constituants devraient appuyer le droit des médecins à des conditions de travail permettant de limiter le risque d’épuisement professionnel et de donner aux médecins la possibilité de prendre soin de leur santé en équilibrant leurs engagements professionnels et leur vie et leurs responsabilités privées.
  2. Les membres constituants devraient souligner l’importance de conditions de travail optimales. Un nombre d’heures de travail consécutives et des horaires de travail raisonnables, des périodes de repos adéquates et un nombre approprié de congés, y compris des jours de congé payés, font partie des conditions de travail optimales, de même que des politiques à l’échelle du système de santé visant à réduire la charge de travail non clinique. Les conditions de travail ne doivent pas compromettre la sécurité des patients ou des médecins. Les médecins devraient participer à la mise en place de conditions de travail sûres au sein de leur lieu de travail.
  3. L’autonomie professionnelle étant un facteur essentiel de bien-être, les organisations concernées devraient s’attaquer de manière active et constructive aux questions d’autonomie professionnelle et d’équilibre entre vie privée et vie professionnelle et impliquer les médecins dans les décisions qui concernent leur vie au travail.
  4. Il est essentiel que les organismes de régulation, les systèmes de santé et les autres principales parties prenantes protègent et fassent prévaloir la vie privée des médecins-patients et la confidentialité des informations les concernant. Il est également essentiel que les médecins puissent demander de l’aide sans craindre de sanctions, notamment en dépénalisant la recherche d’aide lorsque de tels obstacles existent.

Normes et bonnes pratiques sur le lieu de travail

  1. Les établissements de santé devraient promouvoir des conditions propices à des modes de vie sains, dont l’accès à une alimentation saine, à de l’exercice physique régulier, y compris par la mise à disposition de salles d’exercice et de zones de repos, à des conseils diététiques et à un soutien pour combattre les addictions
  2. Les milieux de travail devraient également s’efforcer de soutenir les médecins dans leurs responsabilités familiales en leur offrant des aménagements tels que des horaires de travail flexibles, un soutien postnatal, des services de garde d’enfants et des congés pour s’occuper de leur famille.
  3. Les médecins, les médecins en formation postdoctorale et les étudiants en médecine doivent pouvoir exercer dans un environnement exempt de harcèlement, de violence et de toute forme de discrimination. Ils devraient être protégés contre les agressions et les abus verbaux, virtuels, physiques et sexuels.
  4. Les médecins, les médecins en formation postdoctorale et les étudiants en médecine ont profondément besoin d’une collaboration sûre et stimulante sur leur lieu de travail. Les lieux de travail devraient favoriser le travail d’équipe interdisciplinaire. La communication entre les médecins et tous les autres professionnels sur le lieu de travail devrait se dérouler dans un esprit de coopération et de respect. Il conviendrait d’envisager une éducation à la communication, à la prise de conscience et au travail d’équipe.
  5. Les institutions doivent assumer activement la responsabilité de créer et de maintenir des environnements d’apprentissage psychologiquement sûrs et inclusifs.
  6. Les membres constituants devraient mettre en œuvre les recommandations figurant dans la prise de position de l’AMM sur la violence au travail dans le secteur de la santé. Les membres du personnel médical devraient suivre une formation leur permettant d’identifier les personnes potentiellement violentes, d’adopter une approche appropriée et de communiquer efficacement avec elles. Les établissements de santé devraient les protéger de la violence et instaurer des contrôles réguliers des risques de violence, notamment dans les hôpitaux psychiatriques et les services d’urgence. Les membres du personnel qui sont victimes de violence ou signalent des faits de violence devraient être soutenus par la direction et se voir offrir une assistance médicale, psychologique et juridique. Le signalement de cas de violence devrait se faire de manière pratique, confidentielle et sûre.
  7. Des consultations médicales devraient être proposées sur le lieu de travail et au début de la formation postdoctorale des médecins afin d’identifier tout problème de santé.
  8. Les facultés de médecine et les centres hospitaliers universitaires devraient également mettre en place et entretenir des services de santé indépendants, confidentiels et facilement accessibles pour les médecins en formation postdoctorale et les étudiants en médecine et sensibiliser davantage à l’existence de tels programmes et à leurs conditions d’accès.
  9. Les systèmes de santé, les organismes de réglementation, les administrateurs et les fournisseurs de technologies doivent prendre conscience que la charge croissante de documentation et de rapports dans les soins de santé accroît la charge cognitive des médecins. Rendre les systèmes électroniques plus conviviaux, réduire et simplifier les documents et les formulaires, et accompagner adéquatement la gestion des données peuvent contribuer au bien-être des médecins.

Éducation, ressources et programmes

  1. Les membres constituants devraient reconnaître leur obligation de promouvoir ou de sensibiliser au bien-être des médecins. Les membres constituants devraient encourager et promouvoir de manière collaborative la recherche pour établir de bonnes pratiques à même de favoriser la santé des médecins, déterminer l’influence du bien-être des médecins sur les soins aux patients. Les Membres constituants devraient encourager la diffusion des résultats de la recherche et la mise en œuvre des meilleures pratiques démontrées.
  2. Les Membres constituants devraient également soutenir la collaboration interprofessionnelle et le développement d’un leadership inclusif, qui sont essentiels à la promotion de cultures de travail saines. En outre, la formation médicale devrait prévoir une formation sur les risques liés au travail des médecins.
  3. Le bien-être des médecins devrait être encouragé au sein et à l’extérieur du lieu de travail. Ce soutien peut comprendre, sans toutefois s’y limiter, l’orientation vers un traitement médical, des conseils, des services de conseil, des réseaux de pairs, des services de santé mentale par télésanté et des outils numériques conçus pour favoriser la résilience et l’adaptation. Les programmes de santé destinés aux médecins peuvent permettre à tous les médecins de s’aider eux-mêmes d’une manière proactive via des stratégies de prévention, mais aussi, pour les médecins malades, via un examen d’évaluation, la prescription d’un traitement et un suivi. Les membres constituants devraient faire connaître à tous les médecins l’existence de programmes visant à préserver la santé des médecins adaptés à leur culture.
  4. Pour préserver la santé des médecins, il conviendrait en outre de mettre en place des ressources pour l’identification et l’intervention précoces ainsi que des dispositions spéciales pour la prise en charge des médecins-patients, en particulier dans les situations d’urgence nationales et mondiales. La prévention, l’assistance précoce et l’intervention devraient être disponibles distinctement de toute procédure disciplinaire.

Les médecins et la communauté médicale

  1. Pour préserver la qualité de leur travail, il incombe aux médecins d’entretenir leur santé et leur bien-être personnels, entendus au sens large. Cela comprend la prévention et le traitement des maladies aiguës ou chroniques, dont les pathologies mentales, les handicaps et le stress au travail. Collectivement, les médecins ont l’obligation d’assurer que leurs collègues sont aptes à dispenser des soins sûrs et efficaces, notamment par la promotion de la santé et du bien-être parmi les médecins.
  2. Les médecins examinant et traitant leurs confrères ne devraient pas avoir à faire un rapport sur les soins prodigués au médecin-patient à l’image ce qui se pratique pour les patients non médecins.

 

Prise de position
Bien-être, Consommation de Substances Psychoactives, Environnement de travail, Santé des Médecins, Santé mentale, Soutien aux Médecins

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