Prise de position de l’AMM sur le champ d’exercice, le partage et le transfert des tâches


Adoptée par la 60ème Assemblée Générale de l’AMM, New Delhi, Inde, octobre 2009
et réaffirmée par la 212ème session du Conseil de l’AMM, Santiago, Chili, avril 2019

et révisée par la 76ème Assemblée générale de l’AMM, Porto, Portugal, octobre 2025

PRÉAMBULE

En réponse à la pénurie mondiale de personnel de santé et à l’augmentation des dépenses de santé, différentes mesures ont été élaborées pour répondre aux besoins non satisfaits en matière de prestation de soins de santé.

Pendant la crise du VIH/SIDA, l’OMS, le Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida ONUSIDA et le Plan présidentiel d’aide d’urgence à la lutte contre le sida (PEPFAR) ont recommandé le transfert des tâches dans le but de fournir des soins à toutes les personnes qui en ont besoin. Le transfert des tâches a été défini comme des tâches spécifiques qui sont transférées d’un personnel de santé hautement qualifié à un personnel de santé ayant une formation plus courte et moins de qualifications. Cependant, le transfert de tâches comporte des risques importants, notamment celui de diminuer la qualité des soins aux patients et de contribuer à la création d’un système médical à deux vitesses.

En 2021, l’OMS a publié une terminologie pour le personnel de santé1. Elle a déconseillé l’utilisation du terme « transfert de tâches », dans la mesure où il implique un simple transfert de tâches de manière isolée, sans aucune mesure de soutien. L’OMS encourage plutôt le partage des tâches, qu’elle définit comme « la redistribution rationnelle des responsabilités au sein des équipes de professionnels de la santé. Des tâches ou des rôles spécifiques sont partagés, le cas échéant, avec des agents de santé moins spécialisés dans le but d’utiliser efficacement le personnel disponible. Elle doit s’accompagner de mesures appropriées sur le plan de l’éducation, de la supervision, du soutien à la gestion, de l’octroi de licences, de la réglementation et de la rémunération ».

Le terme champ d’exercice (scope of practice ou SOP) désigne les limites des connaissances, des compétences et de l’expérience d’un professionnel de la santé. Le champ d’exercice englobe toutes les tâches et activités effectuées dans le cadre du rôle d’un professionnel de la santé.

Dans les équipes de soins de santé multidisciplinaires, les médecins et les autres personnels de santé (comme les infirmières, les kinésithérapeutes, les assistants médicaux ou les agents communautaires) coopèrent pour apporter leur contribution unique à la meilleure prise en charge du patient. Ce travail d’équipe doit être coordonné par un médecin, car c’est lui ou elle qui est le membre le plus qualifié de l’équipe et qui assume généralement la responsabilité des décisions diagnostiques et thérapeutiques. Au sein de ces équipes, il est important que chaque membre du personnel de santé travaille dans les limites de son champ d’exercice.

Il ne faut pas confondre les équipes de soins de santé multidisciplinaires avec la collaboration interprofessionnelle, telle qu’elle est décrite dans la prise de position de l’Alliance mondiale des professionnels de la santé sur la pratique interprofessionnelle collaborative. Cette prise de position fait référence à la collaboration entre professionnels de la santé, qui sont agréés et/ou réglementés, hautement qualifiés et qui adhèrent à des codes de déontologie stricts.

Certains établissements de soins ou juridictions ont créé de nouvelles cohortes de personnel de santé dont la fonction est d’assister d’autres professionnels de la santé, en particulier les médecins, ainsi que des nouveaux groupes formés pour effectuer des tâches spécifiques de manière indépendante, avec ou sans la supervision d’un médecin. Si on permet à ces nouvelles cohortes d’effectuer des tâches médicales de manière autonome, sans la supervision d’un médecin, la qualité des soins risque de s’en trouver diminuée. Les risques sont multiples : diagnostics tardifs, erronés ou excessifs, traitement incorrect et incapacité à gérer les complications, service fragmenté et inefficace, absence de suivi adéquat, etc. Cela peut également augmenter le coût global des soins, le personnel de santé non-médecin étant plus susceptible de recourir à des consultations et à des tests diagnostiques et autres en compensation de son niveau d’éducation et de formation inférieur à celui des médecins. Enfin, le respect des règles éthiques spécifiques à la profession médicale peut être mis en péril.

Toutes ces mesures sont souvent appliquées pour pallier la grave pénurie de médecins, ou pour des raisons sociales ou économiques, ou à la demande d’autres professionnels de la santé, ou encore pour réduire les coûts, sous couvert d’efficacité, ou d’autres allégations non prouvées.  Dans certains cas, des études montrent que le recours à des praticiens non médecins augmente en réalité les coûts et l’inefficacité. D’autres mesures peuvent également contribuer à réduire les coûts et à améliorer l’efficacité, telles que les progrès de la technologie médicale, susceptibles de normaliser l’exécution et l’interprétation de certaines tâches et augmenter les compétences et les connaissances des médecins et des autres professionnels de la santé, ou encore les initiatives visant à encourager les médecins à exercer dans les zones rurales ou mal desservies. Les données montrent également que les non-médecins ont tendance à exercer dans les mêmes lieux que les médecins, ce qui contredit l’idée selon laquelle de telles mesures permettraient de résoudre les problèmes d’accès aux soins. Notons également que la pénurie de main-d’œuvre ne se limite pas aux médecins, mais touche en réalité de nombreux professionnels des soins de santé.

Force est de reconnaître que la médecine ne peut jamais être envisagée uniquement comme une discipline technique. La santé des patients, leurs droits, la qualité des soins et l’éthique médicale doivent être des priorités absolues.

RECOMMANDATIONS

C’est pourquoi l’Association médicale mondiale recommande les directives suivantes :

  1. Les approches d’équipes multidisciplinaires, dirigées et coordonnées par un médecin, devraient être considérées comme la référence. Cela devrait se traduire par la mise en place d’équipes de soins de santé solidaires et interactives, où chaque membre peut apporter sa propre contribution aux soins prodigués, sur la base de sa formation et de ses compétences, de son domaine d’expertise et de son champ d’exercice (comme convenu par le médecin responsable).
  2. Les soins continus de qualité, la sécurité des patients, ainsi que l’éthique médicale, ne doivent jamais être compromis et devraient constituer la base pour toutes les réformes et législations relatives au personnel de santé.
  3. Le respect de la compétence, de l’indépendance professionnelle et de l’autonomie clinique du médecin doit être garanti dans toute réforme du personnel de santé. Le diagnostic, en tant que base de toute action concernant la santé du patient, et la prescription de traitements doivent rester la responsabilité exclusive du médecin.
  4. Il est impératif de consulter et d’impliquer les médecins et leurs organisations professionnelles représentatives lorsque l’on envisage de transférer des tâches au détriment des médecins ou de les ouvrir à d’autres professionnels de la santé ou à de nouvelles cohortes. Cette implication doit être explicite et couvrir tous les aspects visant à garantir des soins de haute qualité, en particulier dès qu’il s’agit de réformes de la législation et de la réglementation. Dans certains systèmes de soins de santé, les médecins pourraient eux-mêmes envisager d’initier et de former une nouvelle cohorte d’assistants sous leur supervision, dans le respect des principes de sécurité et de soins appropriés aux patients et avec un cadre réglementaire clair, à instaurer si nécessaire.
  5. Lorsque des tâches sont transférées des médecins à d’autres professionnels de santé, la responsabilité clinique et la responsabilité juridique respectives doivent être clairement définies avant leur application. Ces définitions doivent figurer dans les politiques officielles et être accessibles à toutes les parties prenantes concernées. Plus particulièrement, les patients doivent être informés de l’identité du personnel de santé qui les traite. Des termes tels que « médecin » ou « docteur » ne doivent pas être utilisés d’une manière qui puisse prêter à confusion pour les patients ou suggérer une formation plus poussée.
  6. Les normes d’assurance qualité et les protocoles thérapeutiques doivent être définis, mis en place et supervisés par les médecins. Des systèmes d’accréditation devraient être conçus et mis en œuvre dans le but de garantir la qualité des soins. Les rôles et responsabilités des différents personnels de santé doivent être précisés. Les tâches que seuls les médecins peuvent accomplir, telles que la responsabilité du diagnostic et de la prescription des traitements, doivent être clairement définies, et le personnel non médecin ne doit pas être autorisé ni contraint à opérer au-delà des limites de son champ d’exercice.
  7. Toutes les réformes du personnel de santé devraient viser la mise en place de systèmes de santé durables et fonctionnant à plein temps, qui favorisent la qualité de la pratique professionnelle. L’objectif devrait être de former et d’employer autant de personnel de santé qualifié que nécessaire, y compris des médecins, plutôt que de transférer des tâches à un personnel de santé moins qualifié.
  8. Il conviendrait de procéder à des évaluations (y compris des évaluations structurées) de l’impact des réformes du personnel de santé sur les résultats pour les patients et la santé, ainsi que sur la qualité et l’efficacité de la prestation de soins de santé.
  9. Les réformes des soins de santé qui consistent à transférer des tâches à des professionnels de santé non-médecins sans supervision ne devraient pas être entreprises ou considérées uniquement comme une mesure d’économie, car les économies dégagées par ces réformes restent à prouver. Des mesures axées sur les coûts ont peu de chance de donner des résultats de qualité dans l’intérêt des patients. Une analyse crédible des avantages économiques de ces réformes devrait être menée pour mesurer les résultats sur la santé publique, la rentabilité et la productivité, et devrait faire l’objet d’une étude et d’une évaluation indépendantes et non pas être placée sous les auspices de ceux qui ont été désignés pour réaliser ou financer ces réformes.
  10. Les réformes des soins de santé qui modifient les champs d’exercice ou mettent en place de nouveaux groupes de personnel de soins de santé doivent être complétées par des mesures incitatives visant à retenir les médecins, telles que l’augmentation des salaires et l’amélioration des conditions de travail.
  11. Ces réformes des soins de santé devraient être précédées d’un examen, d’une analyse et d’une discussion systématiques des besoins, des coûts et des avantages potentiels. Elles ne devraient pas être introduites uniquement en réaction à d’autres développements dans le système de soins de santé, et pour que la pratique collaborative réussisse, la formation des médecins au leadership et au travail d’équipe doit être améliorée. Il faut également que le champ d’exercice de chaque membre de l’équipe de soins de santé soit bien compris, c’est-à-dire ce pour quoi chaque personne est formée et ce qu’elle est capable de faire, que les responsabilités soient bien comprises et que la terminologie soit définie et uniformément acceptée.
  12. Les raisons qui sous-tendent la nécessité de réformer le personnel de santé variant d’un pays à l’autre, des solutions convenant à un pays peuvent ne pas convenir automatiquement à d’autres.
  13. Des recherches doivent être menées afin d’identifier les modèles de formation qui se sont avérés efficaces pour le personnel de santé moins qualifié. Les travaux devraient être alignés sur divers modèles actuellement en place. La recherche devrait également se concentrer sur la collecte et le partage des informations, des preuves et des résultats. La recherche et l’analyse doivent être exhaustives et les médecins doivent être associés au processus.
  14. L’AMM devra envisager d’établir une structure pour le partage des informations sur cette question au sein de laquelle les membres pourront discuter des évolutions dans leur pays et des conséquences sur les soins.
  15. Lors de l’élaboration des lois et politiques en la matière, les gouvernements et les organismes de santé doivent veiller à ce que les paramètres du champ d’exercice des professionnels des soins de santé soient cohérents, sûrs et facilitent des soins de la plus haute qualité, et à ce qu’ils définissent clairement les rôles et les tâches qui ne devraient être assumés que par des médecins et les tâches que des professionnels des soins de santé non médecins peuvent accomplir sous la supervision d’un médecin.
Prise de position
Attrition, Delegation, Formation, Main d'œuvre, Qualité des soins, Ressources humaines, Retention, Sécurité, Supervision

Code International d'Éthique Médicale

Adopté par la 3e Assemblée Générale de l’AMM, Londres, Grande-Br...

Déclaration de l'AMM sur la Sécurité du Patient

Adoptée par la 53ème Assemblée générale de l’AMM, Washington, oc...

Résolution de l'AMM sur la Main d'Oeuvre Médicale

Adoptée par la 50ème Assemblée générale de l’AMM, Ottawa, Canada...