Prise de position sur l’éthique médicale en temps d’urgence sanitaire


Adoptée par la 74ème Assemblée générale de l’AMM, Kigali, Rwanda, octobre 2023

 

PRÉAMBULE

Les urgences sanitaires sont des évènements réguliers qui mettent en péril la vie et la santé de populations. Elles peuvent avoir des origines multiples et se caractérisent fréquemment par l’urgence, l’incertitude et une augmentation rapide des demandes auxquelles les services de santé peuvent peiner à répondre. Les urgences sanitaires dépassent généralement les frontières et génèrent des difficultés de coordination entre les gouvernements et les autres acteurs. Elles peuvent aussi provoquer des déplacements de grande envergure des populations. Certaines urgences sanitaires sont localisées, certaines présentent des menaces à l’échelon international. Le dérèglement climatique, les conflits et les extrêmes inégalités mondiales sont des facteurs directs d’urgences sanitaires.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit une urgence sanitaire comme « l’apparition ou la menace imminente d’une maladie ou d’un état de santé causé par le bioterrorisme, une épidémie ou une pandémie, ou un agent infectieux nouveau et hautement mortel ou une toxine biologique, qui pose un risque important de survenue de nombreux incidents ou de destruction d’installations humaines, d’invalidité permanente ou à long terme ». Les urgences sanitaires peuvent être le résultat de risques très divers et d’urgences complexes.

Elles posent de graves difficultés aux médecins, aux autres professionnels de santé, aux autorités publiques et parfois à la communauté internationale. Bien que les principes éthiques fondamentaux de la médecine restent inchangés, l’association de l’urgence, de l’incertitude et des pénuries extrêmes de ressources de santé peuvent les rendre très difficiles à respecter pour les médecins. La tension habituelle en médecine entre les obligations des médecins vis-à-vis des patients et vis-à-vis de la société peut être particulièrement aiguë. C’est particulièrement vrai lorsque le besoin d’interventions vitales dépasse les ressources disponibles. Les urgences sanitaires requièrent également des restrictions des droits et des libertés des personnes et de la population, lesquelles présentent leurs propres dilemmes éthiques.

La présente prise de position s’attache à l’éthique médicale en temps d’urgence sanitaire sous ses différents aspects.

 

PRINCIPES GÉNÉRAUX

  1. Pendant une urgence sanitaire, les médecins et tous les autres intervenants de santé devraient tenir compte des principes suivants:
  • L’obligation de contribuer à réduire la souffrance globale ;
  • l’obligation de manifester un respect plein et égal à toutes et tous ;
  • l’obligation de justice et d’équité dans l’attribution des ressources ;
  • l’exigence que toute restriction des choix individuels et des libertés doive être proportionnée, légale et fondée sur des preuves ;
  • l’obligation d’optimiser les perspectives globales de santé.
  1. Certains médecins et professionnels de santé ne s’attacheront qu’aux aspects de la réponse aux urgences sanitaires qui touchent à la population. Leur préoccupation principale sera d’accroître les bénéfices et de réduire au minimum les dommages à l’échelon de la population. Les principes ci-dessus les guideront dans leur recherche de parvenir au plus grand bénéfice global pour le plus grand nombre de personnes possible.

Préoccupations éthiques particulières pendant une urgence sanitaire

  1. Si les obligations éthiques de base des médecins ne changent pas pendant une urgence sanitaire, leur application dans certains domaines peut se révéler épineuse. Les préoccupations éthiques particulières pendant une urgence sanitaire comprennent, sans s’y limiter :

Confidentialité

  1. La réponse à de nombreuses urgences sanitaires repose pour une part importante sur l’accès à de grandes quantités de données exactes en temps réel. Les médecins et d’autres professionnels de santé observent leurs obligations ordinaires de confidentialité vis-à-vis de leurs patients. En cas d’urgence sanitaire, les informations qui peuvent être communiquées sont celles pour lesquelles le patient ou son représentant légal a donné son accord. En l’absence de consentement, ces informations peuvent être communiquées lorsqu’une justification légale l’exige ou pour des raisons impérieuses d’intérêt public. La communication devrait être limitée aux informations nécessaires au traitement de l’urgence Il convient en outre de tenir compte de l’utilisation éthique des données, notamment de ce qu’il advient de ces informations une fois atteint l’objectif pour lequel elles ont été recueillies.

Consentement

  1. Les patients conservent à tout moment le droit d’accepter ou de refuser un traitement pendant une urgence sanitaire. Certaines interventions obligatoires n’équivalant pas à un traitement peuvent être tolérables sous réserve d’un décret légal et éthique en ce sens. Par exemple lorsque des personnes présentent un risque grave pour d’autres personnes et qu’elles refusent délibérément d’accepter des restrictions nécessaires à la santé publique, un confinement peut être envisagé.

Restrictions de la liberté

  1. Les urgences sanitaires, notamment lorsqu’elles ont trait à des pathogènes transmissibles émergents, peuvent exiger des restrictions des libertés individuelles et collectives. La distanciation physique et le confinement peuvent constituer des mesures de santé publique efficaces et peuvent être imposées par la loi lorsque survient une urgence sanitaire. Toutes infractions aux droits fondamentaux, notamment les restrictions de la liberté doivent être justifiées par l’intérêt général, nécessaires, proportionnées et imposées par des pouvoirs et une autorité légaux seulement pendant la durée nécessaire selon les données scientifiques. Les besoins fondamentaux de toute personne confinée doivent être satisfaits à tout moment.

Implication de la population

  1. Les urgences sanitaires peuvent avoir un effet profond sur les personnes, les communautés et les sociétés. Elles provoquent fréquemment de la peur, de l’incertitude et des troubles socio-économiques. Les périodes d’urgences sanitaires favorisent le risque de circulation de fausses informations, y compris de théories du complot et de tentatives directes de saper l’autorité des connaissances médicales et scientifiques. La communication claire des informations médicales et scientifiques fondées sur des preuves est essentielle, notamment pour justifier les décisions qui ont des conséquences sociales ou économiques. Il convient de prendre des mesures fortes pour combattre les fausses informations, qu’elles soient diffusées par erreur ou délibérément, en particulier lorsqu’elles proviennent de professionnels de santé.
    1. Les urgences sanitaires exigent souvent la prise de décisions délicates qui supposent de faire des compromis sur des biens fondamentaux. Toutes les personnes touchées ont le droit de savoir que ces décisions sont prises et les critères qui ont présidé à la prise des décisions.

    Affectation des ressources et tri

    1. Les urgences sanitaires graves se caractérisent souvent par d’extrêmes pénuries de ressources sanitaires, qui obligent les médecins et les autres professionnels de santé à prendre des décisions difficiles. Dans des circonstances ordinaires, les personnes dont les besoins de santé sont les plus urgents doivent être prioritaires, sous réserve qu’elles puissent tirer un bénéfice de l’intervention. À besoin égal, les personnes doivent disposer de droits égaux aux ressources de santé, que ces besoins émergent directement des urgences sanitaires ou non.
    2. Dans les situations dans lesquelles les besoins de santé dépassent les ressources disponibles, il peut s’avérer nécessaire de trier les patients. Le tri est une forme d’allocation des ressources qui suppose de hiérarchiser les personnes en fonction de leurs besoins de santé et de la probabilité qu’ils bénéficient de l’intervention. Dans des circonstances extrêmes, cela peut supposer d’écarter certaines personnes qui ne seront pas traitées au profit d’autres patients ayant plus de chances de bénéficier du traitement ou au profit de patients plus nombreux.
    3. Toute forme de tri doit être fondée sur des principes éthiques explicites et défendables et suffisamment flexibles pour s’adapter à des évolutions très rapides de la situation. Le tri doit être principalement fondé sur des critères déterminés par la communauté médicale et directement liés à l’état de santé d’une personne.
    4. Il convient également d’accorder une attention particulière aux compromis découlant de décisions prises pour parer à des urgences sanitaires. L’accent mis sur la lutte contre les pathogènes transmissibles peut par exemple exiger de retirer des ressources de santé à la satisfaction des besoins de santé. Un tel arbitrage doit être fondé sur des raisons morales légitimes.

    Droits et intérêts des professionnels de santé

    1. Il existe une limite à la prise de risque que l’on peut légitimement attendre des professionnels de santé dans l’exercice de leurs obligations dans une situation d’urgence sanitaire. Les médecins et les autres professionnels de santé devraient connaître les aspects éthiques et légaux de ces situations, de même que les réponses à apporter en cas de catastrophe, y compris leurs droits et responsabilités pour se protéger, les questions relatives à leurs droits et responsabilités en tant que bénévoles et les questions de responsabilités qui y sont associés. Lorsque des professionnels de santé sont exposés à un risque, les entités qui les emploient voient s’accroître leurs obligations d’atténuer le plus possible ces risques.
    2. Les professionnels de santé qui répondent à une urgence sanitaire doivent être équipés pour faire face aux risques auxquels ils sont exposés, y compris, et à tout moment, un équipement de protection individuelle (EPI) adapté.
    3. Lorsque les professionnels de santé font face à des risques particuliers dans l’exercice de leur profession dans une situation d’urgence de santé publique, il peut être opportun de leur accorder la priorité pour certaines interventions comme la vaccination.

    Recherche

    1. La recherche est une composante essentielle de la riposte face aux urgences sanitaires. Les principes éthiques qui guident la recherche dans des conditions ordinaires ne sauraient être modifiés lors d’une situation d’urgence sanitaire. Faire avancer la recherche en situation d’urgence sanitaire peut néanmoins s’avérer difficile. Les participants à la recherche peuvent également être particulièrement vulnérables. Il est dès lors essentiel que la recherche en situation d’urgence sanitaire soit effectuée dans le plein respect des principes énoncés dans les déclarations de Genève, d’Helsinki sur la recherche médicale impliquant des sujets humains et de Taïpei sur les bases de données de santé, les big data et les biobanques de l’AMM.

    Urgences de santé publique de portée internationale

    1. Certaines urgences sanitaires, comme celles causées par des pathogènes transmissibles ou des toxines hautement dispersées peuvent rapidement s’étendre au-delà des frontières et représenter des risques sanitaires continentaux, voire mondiaux. Dans de telles situations d’urgence de santé publique de portée internationale, les principes éthiques décrits ci-dessus restent inchangés. Compte tenu de la persistance des inégalités mondiales, il convient d’accorder une attention particulière aux questions transnationales de justice et d’équité dans l’allocation des ressources de santé.
Prise de position
Catastrophe, Conflit, EPI, Épidémie, Équipement de protection individuelle, Pandémie, Principes éthiques, Tri, Urgences de santé publique, Urgences sanitaires

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