Déclaration de Washington de L’AMM sur les Armes Biologiques

Adoptée par l’Assemblée générale de l’AMM, Washington 2002
Modifications de formes apportées lors de la session du Conseil de mai 2003
Et réaffirmée par la 191e session du Conseil, Prague, République Tchèque, avril 2012
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INTRODUCTION
- L’Association Médicale Mondiale reconnaît la menace grandissante que constituerait l’emploi d’armes biologiques capables de propager des épidémies dévastatrices à l’échelle planétaire. Aucun pays n’est à l’abri de cette menace. La propagation des organismes pathogènes de la variole, de la peste, de l’anthrax et autres maladies épidémiques se traduirait par une incidence catastrophique de maladies et de décès, aggravée par une inévitable panique. Par ailleurs, le perfectionnement des connaissances biotechnologiques et la simplification de la technique de la manipulation génétique augmentent la capacité de production de nouveaux agents pathogènes. Cette évolution doit particulièrement préoccuper les médecins et les professionnels de santé publique car ils connaissent mieux que quiconque les souffrances que causent ces épidémies et ce sont eux qui interviennent en première ligne auprès des victimes. L’Association Médicale Mondiale considère donc que les associations de médecins et tous les responsables des soins de santé ont la responsabilité d’informer le public et les responsables politiques sur les dangers des armes biologiques. Il leur appartient aussi, pour des raisons morales et éthiques, de mobiliser une opposition universelle à toute recherche, tout développement et tout emploi d’ armes de ce type.
- Contrairement aux armes nucléaires, chimiques et conventionnelles, les attaques biologiques ont des effets insidieux. Elles peuvent agir pendant des semaines ou des mois après la déclaration de l’épidémie par la transmission secondaire, voire tertiaire, de l’agent pathogène. Si elle est réussie, et si les conditions de propagation sont favorables, l’attaque biologique peut avoir des conséquences beaucoup plus graves que celles d’un événement chimique ou même nucléaire. Avec la mondialisation croissante et la banalisation des voyages, le déclenchement d’une épidémie en un point quelconque du globe ferait peser un risque sur tous les autres pays.
- Une accumulation soudaine de cas graves et aigus ne manquerait pas de submerger les systèmes de santé, aussi bien dans les pays en développement que dans les pays industrialisés. Partout dans le monde, les services de santé sont dépassés par les besoins nouveaux créés par le VIH/Sida et par les organismes résistants aux agents antimicrobiens, par les problèmes engendrés par les guerres civiles, par les afflux de réfugiés, par l’insalubrité de l’environnement urbain et par les besoins accrus de populations vieillissantes. Un brusque afflux de cas désespérés pourrait faire sombrer des systèmes de santé dans leur totalité.
- Des mesures peuvent être prises pour réduire les risques liés à l’emploi d’armes biologiques et pour limiter les effets néfastes des épidémies graves, quelle que soit leur origine. Une collaboration internationale est indispensable pour construire une condamnation universelle de l’élaboration, de la fabrication et de l’emploi d’armes biologiques. Tous les pays doivent se doter de programmes de contrôle afin de dépister, d’identifier et d’endiguer ces épidémies majeures ; de programmes de formation pour les professionnels de santé, pour les leaders d’opinion et pour le public ; de programmes de recherche communs pour améliorer le diagnostic, la prévention et le traitement.
- Les avancées technologiques et les progrès de la biochimie, de la biotechnologie et des sciences de la vie permettent de créer de nouveaux agents, de nouvelles maladies et de simplifier la fabrication des armes biologiques. Les moyens techniques sont relativement peu coûteux. La fabrication de ces agents pathogènes étant semblable à celle des vaccins, elle est d’accès facile dans les laboratoires biologiques. Ces armes biologiques peuvent donc être fabriquées et diffusées par n’importe quel pays, permettant ainsi à des extrémistes, agissant seuls ou collectivement, de menacer des gouvernements et de mettre en danger la vie de populations entières. Des mesures de non prolifération et de contrôle peuvent réduire, sans l’éliminer totalement, la menace que présentent les armes biologiques. Il donc indispensable d’ériger en principe universel le rejet de toute fabrication et de toute utilisation d’armes biologiques.
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RENFORCEMENT DES SYSTEMES DE SANTE PUBLIQUE ET DE CONTROLE DES MALADIES
- Pour faire face aux épidémies, il importe d’abord de se doter d’une infrastructure sanitaire forte. Les investissements de santé publique permettront de mieux dépister et d’endiguer à temps l’apparition soudaine de maladies rares, qu’elles soient d’origine intentionnelle ou naturelle. Les fonctions de base (veille épidémiologique et services de laboratoire correspondants) sont le fondement même du dépistage, de la recherche et de la réponse à toute menace d’épidémie. Une efficacité accrue des programmes de veille mondiaux permettra à la fois de mieux répondre à l’apparition naturelle de maladies infectieuses et de dépister et décrire plus précocement les maladies nouvelles ou émergentes.
- Les médecins doivent être particulièrement vigilants à l’apparition de ces cas, qu’ils soient isolés ou répétés afin de faire intervenir des spécialistes du diagnostic de ces affections et de les signaler promptement aux autorités. La coopération entre les médecins de santé primaire et les autorités de santé publique est ici d’autant plus importante que le médecin qui ne voit qu’un ou plusieurs cas peut ne pas s’apercevoir qu’il s’agit d’une poussée épidémique.
- Les autorités de santé publique, confrontées à une épidémie, auront besoin de la coopération des centres de soins d’urgence, des responsables de l’ordre public, des services de santé et d’une multitude d’organisations au service de la collectivité. Pour que ces différents groupes puissent coopérer de manière efficace, une planification préalable est essentielle. Au-delà des activités de veille à des fins de dépistage et de signalement précoces, les autorités de santé publique veilleront à ce que le personnel de santé primaire et de santé publique sache reconnaître les agents pathogènes en cause, à se doter de laboratoires capables de les identifier rapidement, à fournir les services médicaux et hospitaliers nécessaires ainsi que les vaccins et les médicaments permettant de maîtriser l’épidémie.
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ALERTE PREVENTIVE ET MOYENS D’INTERVENTION
- Le premier signe permettant de supposer la dissémination d’une arme biologique sera probablement la présence de patients dans les cabinets de consultation, en particulier dans les centres de soins d’urgence. Le médecin, qui est en première ligne du dépistage précoce d’une épidémie, doit être préparé à reconnaître et à traiter les maladies résultant de l’utilisation d’armes biologiques ainsi que tout autre agent infectieux. Il signalera sans tarder tous les cas suspects aux autorités sanitaires.
- En cas d’épidémie, le médecin est impliqué dans une médecine de masse, des programmes de vaccination et de traitements préventifs aux antibiotiques de masse ; il participe à l’information du public et aux efforts déployés par les collectivités publiques et hospitalières pour enrayer le fléau. Le médecin doit donc participer avec les autorités de santé nationale et locale à l’élaboration et à la mise en oeuvre de plans d’alerte et d’intervention pour parer à ces événements naturels ou malveillants.
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DEVELOPPEMENT DES ARMES BIOLOGIQUES ET ETHIQUE MEDICALE
- Les progrès rapides de la microbiologie, de la biologie moléculaire et du génie génétique offrent un champ d’action sans précédent à la recherche biomédicale et aux possibilités d’améliorer la santé et la qualité de vie des êtres humains. Des outils de diagnostic plus précis et plus rapides, de nouveaux vaccins et de nouveaux médicaments vont être développés, mais il faut aussi envisager un détournement éventuel de cette recherche vers la mise au point d’armes biologiques plus puissantes et la propagation de nouvelles maladies infectieuses. Il est malaisé de définir la frontière entre la recherche biomédicale légitime et les travaux de chercheurs sans scrupules dont le seul but est de créer des armes biologiques plus létales.
- Tous les participants à l’investigation biomédicale ont l’obligation morale et éthique d’envisager que le résultat de ses travaux pourrait être exploité à des fins malveillantes. Délibérément ou par inadvertance, la modification génétique de certains microorganismes pourrait engendrer de nouveaux organismes plus virulents, résistants aux antibiotiques ou plus stables dans l’environnement. La manipulation de ces microorganismes peut modifier leur immunogénicité, leur permettant ainsi de briser les barrières immunitaires naturelles ou induites par la vaccinothérapie. Le progrès du génie génétique et de la thérapie génique pourrait permettre de modifier le système de réponse immunitaire de la population cible de façon à augmenter ou réduire sa susceptibilité à un pathogène ou à entraver le fonctionnement des gènes hôtes normaux.
- Toute recherche visant spécifiquement à créer des armes biologiques doit être condamnée. En tant que scientifique et humaniste, le médecin a la responsabilité devant la société de condamner l’usage de la recherche scientifique à ces fins. Il se doit d’exprimer son rejet du recours à la biotechnologie et aux technologies de l’information à des fins nuisibles.
- Les médecins et leurs organisations représentatives ont un rôle social important à jouer en exigeant l’interdiction universelle des armes biologiques, en condamnant leur emploi, en réprouvant toute recherche illicite et contraire à l’éthique et en soignant les victimes civiles des armes biologiques.
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RECOMMANDATIONS
- Que l’Association Médicale Mondiale et les associations médicales nationales du monde entier s’engagent activement dans la promotion d’une éthique internationale qui condamne le développement, la production et l’emploi d’agents biologiques et de toxines pour lesquels n’existent aucune justification prophylactique ou préventive et qui ne sont pas motivés par des motifs pacifiques.
- Que l’Association Médicale Mondiale, les associations médicales nationales et les travailleurs de santé du monde entier soutiennent, de concert avec l’Organisation mondiale de la Santé, les Nations Unies et les autres organismes compétents, la mise en place d’un consortium international de responsables de la médecine et de la santé publique afin de contrôler la menace que posent les armes biologiques, d’élaborer une riposte à leur prolifération et de dresser un plan de veille mondial contre les maladies infectieuses. Le plan portera sur les aspects suivants : (a) des systèmes internationaux de dépistage et de signalement permettant de perfectionner les mesures universelles de contrôle et de prévention des épidémies ; (b) le développement d’un protocole de vérification efficace dans le cadre de la Convention de l’ONU sur l’interdiction des armes biologiques et à toxines; (c) l’information des médecins et des travailleurs de santé publique sur les nouvelles maladies infectieuses et les nouvelles armes biologiques ; (d) la capacité des laboratoires à diagnostiquer les agents pathogènes biologiques; (e) les réserves de vaccins et de produits pharmaceutiques ; (f) les besoins en matière financière, technique et de recherche qui permettront de modérer le danger que pose le recours aux armes biologiques et aux agents infectieux.
- Que l’Association Médicale Mondiale incite les médecins à se sensibiliser à l’existence de maladies et de décès inexpliqués et à connaître les moyens de contrôle et de prévention capables de répondre à une incidence inhabituelle de cas cliniques, de symptômes ou d’états pathologiques.
- Que l’Association Médicale Mondiale invite les médecins, les associations médicales nationales et autres organisations représentatives à collaborer avec les services de l’hygiène locaux, nationaux et internationaux à l’élaboration et à la mise en oeuvre de protocoles d’alerte préventive et d’intervention contre les actes de terrorisme biologique et les épidémies naturelles. Ces protocoles serviront de base à l’information des médecins et du public.
- Que l’Association Médicale Mondiale invite instamment toutes les personnes qui participent aux recherches biomédicales à examiner les conséquences et les applications de leurs travaux et à assurer l’équilibre voulu entre les objectifs légitimes de la recherche et leurs responsabilités éthiques envers la société.