Prise de Position de l’AMM sur le Conflit d’Intérêts


Adoptée par la 60ème Assemblée Médicale Mondiale, New Delhi, Inde, Octobre 2009
Réaffirmée avec des modifications mineures par la 201e Session du Conseil de l’AMM à Moscou, Russie, Octobre 2015
et révisée par la 76ème Assemblée générale de l’AMM, Porto, Portugal, octobre 2025

PRÉAMBULE

Cette politique vise à identifier les domaines où un conflit d’intérêts peut surgir au cours de l’exercice quotidien de la médecine et à aider les médecins à résoudre de tels conflits, dans le meilleur intérêt de leurs patients. Un conflit d’intérêts se produit lorsque le jugement professionnel concernant les soins à apporter à un patient est influencé de manière indue par des intérêts secondaires. Des facteurs tels que les prescriptions institutionnelles obligatoires ou les pressions liées à l’avancement professionnel peuvent représenter des conflits d’intérêts.

Comme le stipule le Code international d’éthique médicale de l’AMM, le médecin doit reconnaître et éviter les conflits d’intérêts réels ou potentiels.

Dans certains cas, il peut suffire qu’un médecin reconnaisse l’existence d’un conflit potentiel ou perçu comme tel. Dans d’autres cas, il peut être nécessaire de prendre des mesures spécifiques pour résoudre le conflit. Certains conflits d’intérêts sont inévitables et les conflits d’intérêts en médecine ne sont pas intrinsèquement contraires à l’éthique. C’est la manière dont ils sont traités qui est essentielle.

Outre l’exercice de la médecine et la prestation de soins, les médecins assument des fonctions supplémentaires et poursuivent divers autres intérêts, tels que la participation à la recherche, la contribution à des séminaires et à des conférences, la formation et l’éducation des futurs médecins et l’occupation de postes administratifs ou de direction. Les intérêts privés dans le domaine de la médecine s’étant développés dans de nombreux endroits, il arrive que des médecins mettent leurs compétences également au service de ces intérêts, en occupant des postes de consultants (et parfois d’employés) dans des entreprises du secteur privé, y compris celles qui participent au développement de nouvelles technologies et de solutions numériques.

L’interaction croissante entre les médecins et les acteurs du secteur privé reflète l’influence systémique plus large de ces intérêts privés sur les marchés des soins de santé, la pratique clinique, les priorités de recherche et l’enseignement médical. Ces facteurs sont également appelés déterminants commerciaux de la santé.

Bien que la participation des médecins à ces activités peut en fin de compte servir l’intérêt général, elle peut également être en conflit avec leur obligation première de veiller à la santé et au bien-être de leurs patients individuels, ainsi qu’aux besoins plus larges en matière de santé publique. Les autres intérêts ne sauraient influencer les décisions cliniques, même de manière potentielle.

Les médecins ont le devoir moral d’examiner leur propre comportement individuel à la recherche de tout conflits d’intérêts. Lorsqu’ils ne sont pas reconnus, les conflits d’intérêts peuvent sérieusement miner la confiance du patient dans la profession médicale et dans le praticien individuel et, par conséquent, avoir un impact négatif sur la relation patient-médecin. Tout conflit d’intérêts, qu’il soit réel ou potentiel, financier ou personnel, y compris les conflits d’intérêts relationnels, doit être divulgué. Selon les circonstances, des mesures correctives supplémentaires peuvent se révéler nécessaires.

Les médecins peuvent éventuellement souhaiter consulter des ressources supplémentaires telles que les sociétés de spécialité médicale, les associations médicales ou les instances de contrôle sur les questions relatives aux conflits d’intérêts et ils devraient connaître la réglementation et les lois nationales en vigueur.

L’AMM aborde sans ambiguïté la question des conflits d’intérêts dans ses politiques éthiques fondamentales, y compris la Déclaration de Genève : L’engagement solennel du médecin, le Code international d’éthique médicale et la Déclaration d’Helsinki. Ces documents fondamentaux indiquent clairement que la santé et le bien-être du patient ou du participant à la recherche doivent toujours être la première préoccupation du médecin.

RECOMMANDATIONS

Recherche

1. Les intérêts du médecin et du chercheur peuvent ne pas être les mêmes. Si la même personne assume les deux fonctions, comme c’est souvent le cas, le conflit potentiel devrait être réglé en mettant en place des mesures appropriées pour protéger les patients, y compris en informant ces derniers du conflit potentiel.

2. La recherche médicale doit être conduite dans le but ultime de faire progresser la santé individuelle et publique. Un chercheur-médecin ne doit jamais faire passer ses intérêts financiers avant le bien-être de ses patients. La santé et le bien-être des patients et l’intégrité scientifique doivent être prioritaires.

3. Toutes relations pertinentes et significatives du chercheur-médecin, les sources de financement, les affiliations institutionnelles et les conflits d’intérêts doivent être divulgués aux participants potentiels à la recherche, aux comités d’éthique de la recherche, aux organismes de surveillance réglementaire appropriés, aux revues médicales, aux participants aux conférences et au centre médical dans lequel la recherche est menée.

4. Avant le début de toute recherche, toutes les parties impliquées dans la recherche, y compris les sponsors de l’essai, le chercheur-médecin et les participants à la recherche, devraient convenir des conditions générales clés concernant, au minimum, les points suivants :

• la compensation financière pour le chercheur-médecin,
• la maîtrise et l’accès aux résultats de la recherche,
• le droit et l’obligation du chercheur-médecin de publier des résultats négatifs,
• le droit du chercheur-médecin de de communiquer des informations pertinentes aux participants à l’essai à tout moment de l’étude,
• le financement des soins médicaux des participants en cas de complications liées à la recherche,
• la protection des données et découvertes fortuites.

5. Les chercheurs-médecins devraient avoir la maîtrise des données des essais et un accès complet à ces données et refuser les clauses de non-divulgation.

6. Indépendamment des résultats de la recherche, les chercheurs-médecins devraient veiller à ce que la présentation ou la publication des résultats ne soit pas indûment retardée ou bloquée.

7. Les médecins ne devraient pas accepter de paiement ou d’autres avantages uniquement pour avoir orienté des patients vers des études de recherche ou pour avoir partagé des données sur les patients. Les informations sur les patients ne devraient être partagées que dans le respect de la confidentialité des patients et de la sécurité des données.

8. Toute compensation reçue des promoteurs de l’essai par le chercheur-médecin devrait approximativement remplacer le revenu clinique perdu et devrait être proportionnelle aux efforts et aux responsabilités du médecin effectuant la recherche. Lorsque le recrutement demande une grande implication et du temps, une rémunération complémentaire peut être envisagée pour dédommager le chercheur-médecin ou l’institution, spécifiquement pour le temps et les efforts consacrés au recrutement supplémentaires de participants appropriés à la recherche. Les primes progressives destinées à augmenter le nombre de participants à l’essai ne devraient pas être acceptées.

9. Les paiements ou compensations de quelque nature que ce soit ne peuvent jamais être liés aux résultats des essais cliniques. Les chercheurs-médecins ne devraient pas avoir d’intérêt financier dans une entreprise parrainant un essai ou dans un produit étudié dans le cadre d’un essai clinique si cet intérêt financier peut être affecté positivement ou négativement par les résultats de l’essai ; ils ne devraient pas avoir d’intérêt financier direct dans les résultats de l’essai. Ils ne devraient pas acheter ou vendre d’actions de l’entreprise pendant la durée de l’essai et jusqu’à ce que les résultats soient rendus publics. Cette règle peut ne pas s’appliquer aux médecins qui ont mis au point un médicament, mais qui ne prennent pas part à la procédure de recrutement.

10. Les chercheurs-médecins devraient refuser d’étudier des demandes de subvention ou des propositions d’articles de recherche de la part de collègues ou de concurrents si leurs relations risquent de compromettre leur impartialité.

11. Les chercheurs-médecins ne devraient participer à des essais cliniques que si ceux-ci relèvent de leur domaine d’expertise médicale, et ils devraient disposer de l’éducation, de la formation et des qualifications éthiques et scientifiques appropriées pour la conduite de la recherche et les principes de l’éthique de la recherche.

12. Les droits d’auteur devraient être définis avant le début de l’essai et devraient être basés sur une importante contribution scientifique.

13. Les chercheurs-médecins devraient être conscients des déterminants commerciaux plus larges de la santé susceptibles d’influencer les priorités de recherche, la conception des études et l’interprétation ou la diffusion des résultats, et devraient s’efforcer activement d’atténuer ces influences afin de préserver l’intégrité scientifique et la confiance du public.

Education et formation

14. Les besoins éducatifs des étudiants et des médecins en formation spécialisée et la qualité de leur expérience en matière de formation et de stage doivent être mis en balance avec l’intérêt supérieur des patients. En cas de conflit, les intérêts des patients priment.

15. La formation médicale de base, la formation spécialisée et le développement professionnel continu (DPC) devraient comprendre une formation spécifique sur la reconnaissance et la gestion des conflits d’intérêts, ainsi que sur la connaissance des déterminants commerciaux de la santé, afin de soutenir l’évaluation critique des informations et de préserver l’intégrité professionnelle dans l’intérêt supérieur des patients.

Auto-prescriptions rétro-commissions et partage des honoraires

16. Toutes les recommandations vers d’autres médecins ou prestataires et ordonnances de biens ou de services spécifiques devraient reposer sur l’évaluation objective du médecin traitant ou du médecin prescripteur. Toute forme de collaboration entre professionnels de la santé doit donner la priorité aux intérêts du patient.

17. Il y a auto-prescription d’un médecin lorsqu’il oriente un patient vers un service, un cabinet ou un établissement médicaux (par exemple un laboratoire) où il n’est pas professionnellement actif, mais où il a un intérêt financier. Cette pratique peut beaucoup influencer les décisions médicales et n’est pas jugée acceptable à moins que des garanties appropriées soient en place et que l’orientation soit fondée sur des critères objectifs et médicalement pertinents. (Par exemple, il existe un besoin pour cet établissement dans une petite communauté rurale et il n’y en a pas d’autres. Dans cette situation, le médecin ne doit pas recevoir plus d’intérêts financiers qu’un investisseur ordinaire.)

18. Les rétro-commissions ou partage d’honoraires se produisent lorsqu’un médecin reçoit une contrepartie financière pour orienter un patient vers un praticien spécifique ou pour un service spécifique pour lequel des honoraires sont facturés. Ces pratiques ne sont pas acceptables.

Ventes de produits

19. La vente par les médecins de produits médicaux (produits liés à la santé) ou de produits non médicaux (produits non liés à la santé du patient ou à l’exercice de la médecine), à partir de leur cabinet ou de leur site web, peut soulever des questions éthiques en matière de conflits d’intérêts financiers, et peut exercer une pression indue sur le patient. Les produits non médicaux et les produits médicaux non validés scientifiquement ne devraient pas être vendus dans les cabinets médicaux ni sur les sites Web des médecins. La vente de produits médicaux validés scientifiquement n’est acceptable que dans des circonstances limitées et avec des garanties appropriées, notamment une information adéquate du patient.

Conflits organisationnels/institutionnels

20. Les établissements de santé en particulier sont de plus en plus sujets à de nombreuses pressions menaçant plusieurs de leurs missions et beaucoup d’établissements médicaux ont commencé à rechercher d’autres sources de revenus. Il conviendrait d’instaurer des politiques permettant d’assurer que ces nouvelles sources n’entrent pas en conflit direct avec les valeurs et la mission de l’établissement et avec les principes de l’éthique médicale (par exemple le financement de facultés de médecine ou des cliniques par les industries du tabac, de l’alimentation ou des produits pharmaceutiques).

21. Les organisations et les institutions médicales (y compris, mais sans s’y limiter, les facultés de médecine, les hôpitaux, les associations médicales, les autorités régulatrices officielles/nationales et les centres de recherches) devraient élaborer et appliquer des directives sur les conflits d’intérêts qui s’appliquent également à leurs employés et à leurs membres, et qui abordent les déterminants commerciaux plus larges de la santé. Ces directives devraient être structurées de manière à aider les médecins à faire les divulgations appropriées et à identifier les situations dans lesquelles un conflit d’intérêts pourrait les empêcher de participer à une activité donnée.

22. Les établissements de santé devraient établir une distinction claire entre les comités de décision en matière d’investissement, le transfert de technologie et la branche recherche de l’établissement.

23. Des politiques écrites devraient inclure des directives sur les conditions de divulgation, ou sur l’interruption de la participation au processus décisionnel, pour les personnes qui sont en conflit d’intérêts en raison d’une recherche subventionnée, de contrats de consultants, de participations privées ou d’accords de licence.

Prise de position
Education, Indépendance, Loyauté, Pot-de-vin, Publication, Recherche, Sponsor

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