Prise de Position de l’AMM sur les Mauvais Traitements et la Négligence envers les Enfants


Adoptée par la 36e Assemblée Médicale Mondiale Singapour, Octobre 1984
et amendée par la 41e Assemblée Médicale Mondiale, Hong Kong, Septembre 1989
la 42e Assemblée Médicale Mondiale Rancho Mirage (Californie, Etats-Unis), Octobre 1990
la 44e Assemblée Médicale Mondiale Marbella (Espagne), Septembre 1992
la 47e Assemblée générale Bali (Indonésie), Septembre 1995
la 57eAssemblée générale de l’AMM, Pilanesberg, Afrique du Sud, Octobre 2006, et
la 67e Assemblée générale de l’AMM, Taipei, Taiwan, Octobre 2016
et révisée par la 68e Assemblée générale, Chicago, Etats-Unis, Octobre 2017

 

PRINCIPE FONDAMENTAL

1.     Le bien-être des enfants[1] est de toute première importance. Les professionnels de santé, dans toutes les relations qu’ils entretiennent avec des enfants, des jeunes, des familles, des décideurs et des professionnels, devraient mettre le bien-être des enfants au cœur de toutes les décisions qui les concernent et agir dans leur meilleur intérêt.

INTRODUCTION

2.     L’une des manifestations les plus destructrices de la violence et du déséquilibre au sein de la famille est le mauvais traitement[2] sous toutes ses formes envers l’enfant. La prévention, la protection, la détection rapide, l’intervention adaptée et le traitement global des enfants victimes de mauvais traitements demeurent épineux pour la communauté médicale mondiale. L’Association médicale mondiale (AMM) a lancé un appel en faveur d’un soutien sanitaire accu des enfants vivant dans les rues dans sa prise de position sur le soutien sanitaire des enfants des rues, mais il est également important de traiter les causes profondes de tous les types de mauvais traitements envers des enfants[3].

3.     La définition des mauvais traitements infligés aux enfants varie d’une culture à l’autre. Malheureusement, une attitude violente envers les enfants peut parfois être justifiée avec trop de légèreté par l’invocation de raisons culturelles comme preuve de l’aspect non abusif et inoffensif du traitement infligé à l’enfant. Par exemple, la participation des enfants aux travaux quotidiens de la famille et de la société devrait être reconnue et encouragée seulement dans la mesure où elle contribue à leur épanouissement personnel. En revanche, l’exploitation des enfants sur le marché du travail les prive de leur enfance et de la possibilité d’aller à l’école, et compromet leur santé présente et future. L’AMM estime que l’exploitation des enfants constitue une forme grave de mauvais traitement envers les enfants.

4.     Aux fins de cette déclaration, les diverses formes de mauvais traitements envers les enfants comprennent les mauvais traitements émotionnels, la maltraitance sexuelle, la maltraitance physique, la traite, l’exploitation et la négligence. La négligence envers l’enfant est caractérisée par l’inaptitude d’un parent ou d’une personne légalement responsable du bien-être de l’enfant à répondre aux besoins de ce dernier et à lui apporter des soins d’un niveau adéquat.

RECOMMENDATIONS

L’AMM reconnaît que les mauvais traitements, de toute nature, contre les enfants constituent un problème de santé à l’échelle mondiale et recommande aux associations médicales nationales d’adopter, à l’usage des médecins, les principes directeurs suivants :

5.     Les médecins ont un rôle particulier à jouer en matière d’aide et d’identification des enfants maltraités et de leur famille.

6.     Tous les médecins devraient recevoir une formation qui leur donne conscience de l’importance capitale du bien-être des enfants.

7.     Les médecins doivent connaître la législation nationale relative aux règles de consentement qui président à l’examen d’enfants et ils doivent agir, dans toutes les relations qu’ils entretiennent avec des enfants, des jeunes, des familles, des décideurs et d’autres professionnels, dans le meilleur intérêt de l’enfant.

8.     Il est fortement recommandé que le médecin coopère avec une équipe multidisciplinaire expérimentée. Celle-ci comprendra des médecins, des travailleurs sociaux, des psychiatres pour enfants et adultes, des spécialistes du développement, des psychologues et des avocats. Si une telle équipe n’existe pas ou si le médecin n’a pas la possibilité de collaborer avec une telle équipe, il devra consulter d’autres professionnels médicaux, sociaux, chargés de l’application des lois ou spécialistes de la santé mentale, le cas échéant.

9.     Les médecins traitants tels que les médecins généralistes de famille, internes, pédiatres, médecins urgentistes, chirurgiens, psychiatres et les autres spécialistes qui peuvent être amenés à traiter des enfants doivent acquérir les connaissances et les compétences nécessaires pour évaluer tous les types de mauvais traitements physiques, psychologiques et émotionnels qui peuvent être commis à l’encontre d’un enfant, ainsi que le développement de l’enfant et les compétences parentales, le recours aux ressources communautaires et la responsabilité légale du médecin.

10.  Tous les médecins qui sont amenés à traiter des enfants et les adultes qui assument une responsabilité à l’égard d’enfants devraient garder à l’esprit les principes énoncés dans la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant et les dispositions légales nationales protectrices applicables aux enfants et aux jeunes.

11.  Les examens médicaux des enfants que l’on pense être victimes de mauvais traitements sexuels doit être menée par des médecins compétents en pédiatrie et à même d’évaluer les mauvais traitements. Les examens médicaux doivent être adaptés à l’âge de l’enfant, recenser les blessures et les maladies et peuvent comporter un bilan sanguin, une radiographie des traumatismes, une mesure de la croissance et une évaluation comportementale. Des radiographies de suivi sont vivement recommandées pour les enfants qui présentent de graves blessures apparemment liées aux mauvais traitements.

12.  L’examen et le suivi médical des enfants abusés sexuellement comporte l’établissement d’un historique complet et un examen physique car les abus sexuels et les mauvais traitements physiques sont souvent associés ; un examen des parties génitales et de l’anus ; le recueil et l’étude de preuves y compris de photographies ; le traitement et/ou la prévention d’une grossesse et des maladies vénériennes. Il convient d’accorder une attention particulière au droit de l’enfant de voir respectée sa vie privée.

13.  Il est nécessaire que le médecin détermine et soit attentif aux aspects suivants : la qualité des relations entre les personnes qui s’occupent de l’enfant, les sanctions et le style de discipline imposés au sein du foyer de l’enfant, les difficultés économiques de la famille, les problèmes émotionnels ou les troubles mentaux d’un membre de la famille, la violence conjugale ou intrafamiliale, l’abus d’alcool, de drogues et d’autres substances et toutes autres difficultés qui pourraient être en corrélation avec tout type de mauvais traitements infligés à l’enfant.

14.  Tous les médecins doivent être conscients que des mauvais traitements peuvent être infligés par des pairs[4]. Lorsqu’ils soupçonnent ou qu’ils se trouvent dans une telle situation, les praticiens doivent garder à l’esprit que l’auteur présumé des mauvais traitements peut lui-même être ou avoir été victime de mauvais traitements.

15.  Les signes de mauvais traitements sont souvent subtils et le diagnostic peut nécessiter d’interroger soigneusement l’enfant, les parents, les proches et la fratrie. Des incohérences dans les explications ou entre les explications et les caractéristiques d’une blessure, comme le niveau de gravité, le type et l’ancienneté doivent être consignés et faire l’objet d’une enquête approfondie.

16.  Pour tout enfant admis dans un établissement médical, la priorité doit être donnée à ses besoins médicaux et mentaux. Si l’on suspecte des mauvais traitements, il convient de veiller à assurer sa sécurité avant de le laisser sortir de l’établissement. Ces mesures devraient comprendre :

16.1. le signalement de tous les cas supposés aux services chargés de la protection de l’enfance ;

  • l’hospitalisation de tout enfant ayant subi de mauvais traitements nécessitant une protection pendant la période initiale d’expertise ;
  • l’information des parents du soupçon de mauvais traitement ou du diagnostic de mauvais traitement si rien ne s’y oppose ;
  •  le signalement des blessures de l’enfant aux services de protection de l’enfance.

17.  Si l’hospitalisation s’avère nécessaire, il convient de procéder rapidement à l’évaluation des problèmes physiques et émotionnels de l’enfant, ainsi qu’à ceux relatifs à son développement. Cette évaluation complète doit être effectuée par des médecins compétents dans le domaine ou par une équipe pluridisciplinaire d’experts spécialement formés aux mauvais traitements envers les enfants.

18.  S’il soupçonne que l’enfant est victime de mauvais traitements, le médecin doit s’entretenir avec les parents du fait que ces mauvais traitements feront partie du diagnostic différentiel des problèmes de leur enfant. Le médecin peut avoir à demander conseil aux services chargés de la protection de l’enfance.

19.  Durant les discussions avec les parents, les tuteurs ou les personnes auxquelles l’enfant est confié, il est essentiel que le médecin reste objectif et évite d’émettre un jugement ou des accusations concernant les parents ou la ou les personnes chargées de prendre soin de l’enfant.

20.  Il est essentiel que le médecin enregistre ses observations et les résultats d’examen dans le dossier médical au fur et à mesure du processus d’évaluation. Toute blessure doit être documentée par des photos, des illustrations et une description détaillée. Le dossier médical se révèle en effet souvent décisif en cas de procédure judiciaire.

21.  Les médecins doivent collaborer à tous les stades de la prévention par des conseils à la famille pendant la période prénatale et post-natale et par des conseils en matière de planification familiale et de contrôle des naissances.

22.  Les médecins devraient encourager les mesures de santé publique telles que les visites à domicile des infirmières et d’autres professionnels de santé, les conseils anticipés des parents et les visites médicales des nourrissons et des enfants bien portants. Les médecins, ainsi que les organismes qui les représentent, devraient également soutenir les programmes qui visent à l’amélioration de la santé générale de l’enfant et dont le but est également de prévenir tous les types de mauvais traitements des enfants.

23.  Les médecins doivent savoir que les mauvais traitements et la négligence envers les enfants constituent un problème complexe et que plus d’un type de traitement peut être nécessaire pour aider les enfants maltraités et leur famille. La mise au point de traitements appropriés demande la participation de nombreuses professions, y compris de la médecine, du droit, des soins infirmiers, des enseignants, des psychologues et des assistants sociaux.

24.  Les médecins doivent encourager le développement de nouveaux programmes qui permettent des progrès des connaissances médicales et des compétences en matière de mauvais traitements et de négligence envers les enfants. Il est essentiel que la formation professionnelle des médecins comporte l’acquisition de connaissances, compétences et aptitudes relatives à la protection des droits des enfants et des jeunes, à la promotion de leur santé et de leur bien-être ainsi qu’à l’identification des signes pouvant indiquer des mauvais traitements ou de la négligence envers les enfants. Les médecins doivent recevoir une formation sur les mauvais traitements de tous types et la négligence envers les enfants pendant leur cursus universitaire.

25.  Dans l’intérêt de l’enfant, il peut être nécessaire dans les cas de maltraitance infantile de passer outre le secret professionnel, le premier devoir du médecin étant de protéger son patient lorsqu’il soupçonne que ce dernier est victime de mauvais traitements. Quel que soit le type de maltraitance (physique, psychologique, sexuelle, traite, exploitation ou négligence), elle doit être officiellement signalée aux autorités compétentes.

26.  Il est essentiel que les programmes de formation professionnelle comportent des examens continus des connaissances, compétences et aptitudes liées à la protection des droits des enfants et des jeunes, à la promotion de leur santé et de leur bien-être et à l’identification et à la prise en charge des enfants victimes de mauvais traitements et de négligence.

27.  Le cursus médical initial doit comporter, dans le cadre du programme de pédiatrie, un cours obligatoire sur toutes les formes de mauvais traitements envers les enfants, qui peut être approfondi durant l’internat et la formation continue pour les personnes qui entendent travailler dans ce domaine.

[1] Au sens de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant, un enfant s’entend de tout être humain âgé de moins de dix-huit ans.
[2] Aux fins de la présente prise de position, les termes « mauvais traitements envers un enfant » et « maltraitance d’un enfant » sont considérés comme synonymes.
[3] Le terme « négligence » désigne l’incapacité persistante à satisfaire les besoins fondamentaux d’un enfant, susceptible de compromettre gravement la santé, le bien-être ou le développement de cet enfant.
[4] La maltraitance d’un enfant par un ou plusieurs autres enfants.

Prise de position
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