Prise de position de l’AMM sur le bien-être des médecins


Adoptée par la 66ème Assemblée Générale de l’AMM, Moscou, Russie, Octobre 2015

PREAMBULE

Le bien-être du médecin fait référence à  l’optimisation de tous les facteurs impactant  la santé biologique, psychologique et sociale et à la prévention ou au traitement des maladies aigües ou chroniques des médecins dont les maladies mentales, les handicaps et blessures liés aux dangers du travail, le stress professionnel et l’épuisement.

Le bien-être du médecin pourrait avoir un impact positif sur les soins aux patients mais davantage de recherches sont nécessaires. La profession devrait donc encourager et soutenir les recherches en cours sur la santé du médecin. Les preuves déjà existantes devraient être mises à profit dans les politiques et la pratique. Les médecins sont enclins à avoir des habitudes saines mais il est essentiel de favoriser leur santé en tant que moyen d’améliorer la santé de la population entière.

A tous les stades de leur carrière, les médecins et les étudiants en médecine sont exposés à la fois à des expériences positives et à une série de facteurs de stress et de blessures au travail. La profession médicale devrait chercher à identifier et à réviser les politiques et les pratiques contribuant à ces facteurs de stress, collaborer avec les AMN afin d’établir des politiques et pratiques ayant un effet protecteur. Comme tous les êtres humains, les médecins tombent malades et ont également des obligations familiales et d’autres engagements en dehors de leur vie professionnelle dont il faudrait tenir compte.

Leur souci quant  au maintien de la confidentialité et leur sentiment de mal à l’aise dans le rôle du patient sont une raison expliquant pourquoi les médecins tardent à demander de l’aide. Ils ressentent également un sentiment de responsabilité vis-à-vis de leurs patients et sont sensibles aux attentes extérieures concernant leur santé. Les médecins doivent donc avoir la certitude de bénéficier du même droit à la confidentialité que tout autre patient lorsqu’ils cherchent à se faire soigner ou sont soignés. Le système de santé devrait peut-être prévoir des dispositions spéciales pour les patients-médecins afin que soient garanties la protection de la vie privée et la confidentialité. La prévention, l’assistance précoce et l’intervention devraient être disponibles distinctement de toute procédure disciplinaire.

MENACES, OBSTACLES ET OPPORTUNITES POUR LE BIEN-ETRE DU MEDECIN

Rôles et attentes professionnelles

La profession médicale attire souvent les individus mus par  un fort sens du devoir. Le fait de réussir le long et intense cursus de formation confère aux médecins un grand respect et de grandes responsabilités dans leurs communautés.

Compte tenu de ce haut niveau de respect et de responsabilité les médecins suscitent beaucoup d’attente de la part des  patients, du public.   Ces attentes peuvent contribuer à donner la priorité à la prise en charge des autres et non pas de soi-même, générer    un sentiment de culpabilité et d’égoïsme s’ils s’occupent de leur propre bien-être.

Il existe une relation directe entre les pratiques de santé préventives des médecins et celles des patients. Cette relation devrait encourager les systèmes de santé à mieux soutenir et évaluer l’impact sur les patients d’une amélioration de la santé des médecins et des étudiants en médecine.

Environnement de travail

Les conditions de travail dont la charge de travail et les horaires de travail  jouent sur la motivation du médecin, sur la satisfaction que lui procure le métier, sur sa vie personnelle et sa  santé psychologique tout au long de sa carrière.

Souvent les médecins sont perçus comme immunisés contre toute blessure et maladie puisqu’ils  s’occupent de leurs patients. La santé sur le lieu de travail et les programmes de sécurité peuvent être occultés. Les médecins employés par de petites organisations ou à leur compte peuvent même courir davantage de risques de maladies professionnelles et ne pas avoir accès aux programmes de santé et de sécurité mis en place par les grands établissements de santé.

De par leur mission professionnelle, les médecins et ceux en formation postdoctorale sont souvent confrontés à des situations émotionnellement dures et traumatisantes, notamment la souffrance, les traumatismes  et la mort des patients. Les médecins peuvent également être exposés à des dangers physiques tels que des radiations, le  bruit, un manque d’ergonomie et des dangers biologiques tels que VIH, TB et hépatite.

Certains systèmes de santé peuvent amplifier le stress en raison de la hiérarchie et de la concurrence inhérente à ces systèmes. Les médecins en formation postdoctorale et les étudiants en médecine peuvent être victimes de harcèlement et de discrimination au cours de leur cursus médical. En raison de leur place dans la hiérarchie médicale, ils ne sont peut-être pas en mesure de faire face à de tels comportements.

L’autonomie est l’un des facteurs essentiels participant à la satisfaction des médecins. Les pressions croissantes exercées par la réglementation externe comme par exemple l’accent indu mis sur la rationalisation des coûts et les conséquences liées au signalement des erreurs médicales  peuvent jouer sur la décision médicale et nuire à l’autonomie du médecin.

Maladie

Même si  les professionnels de la médecine reconnaissent qu’il est préférable d’identifier et de traiter précocement la maladie, les médecins ont souvent tendance à cacher leur propre  maladie et à poursuivre leur exercice sans demander d’aide jusqu’à ce qu’ils ne soient plus capables d’accomplir leur tâche. Il existe de nombreux obstacles potentiels à la demande de soins de la part d’un médecin : déni, confidentialité, aversion pour la position de patient, assurances, crainte de mesures disciplinaires et possible perte des privilèges professionnels, perte financière basée sur la performance et l’efficacité de l’automédication. En raison de ces obstacles, les médecins sont fréquemment peu enclins à se soigner ou à se faire soigner.

Les maladies peuvent être d’ordre mental et comportemental, physique. Il peut s’agir d’épuisement, de problèmes de communication et de relations, de troubles cognitifs, d’addiction à des médicaments. Ces problèmes et ces maladies peuvent se cumuler  et se produire tout au long de la vie professionnelle depuis la formation médicale de base jusqu’à la retraite. Il est important de reconnaître l’importance du continuum de bien-être du médecin, depuis une santé optimale jusqu’à une maladie mineure et une maladie débilitante.

L’abus de médicaments peut perturber la vie personnelle du médecin  et nuire également beaucoup à sa capacité  de prise en charge des patients. Un accès facile aux médicaments peut faire courir aux médecins le danger d’abuser de drogues douces et de médicaments. L’assistance avant la perte de capacités professionnelles préserve  les médecins, leur crédibilité professionnelle et leurs patients.

Une meilleure promotion du bien-être, des stratégies de prévention et une intervention précoce peuvent atténuer la gravité des maladies mentales et physiques et aider à réduire l’incidence des suicides chez les médecins, ceux en formation postdoctorale et les étudiants en médecine.

RECOMMANDATIONS

L’Association Médicale Mondiale recommande à toutes les Associations Médicales Nationales (AMN) de reconnaître et si possible de suivre les recommandations suivantes :

  1.  En partenariat avec les facultés de médecine et le milieu professionnel, les AMN reconnaissent    leur devoir d’éduquer à tous les niveaux  sur le bien-être des médecins. Les AMN devraient promouvoir d’une manière collaborative la recherche pour établir les meilleures pratiques pour favoriser la santé des médecins  et déterminer l’impact du   bien-être des médecins sur les soins aux patients.
  2.  Le bien-être des médecins devrait être encouragé et assuré au sein et à l’extérieur du lieu de travail. Il peut s’agir entre autres de traitements médicaux, de conseils, de réseaux de soutien, de programmes de santé reconnus et spécifiques aux médecins, de réhabilitation professionnelle et de programmes de prévention primaires dont la formation à la résilience et à la gestion des cas.
  3.  Les AMN devraient être conscientes de la forte corrélation  entre les pratiques de santé personnelles des patients et des médecins. C’est là une autre raison majeure de promotion de la santé des médecins de la part des systèmes  de santé.
  4.  Les programmes de santé destinés aux médecins peuvent aider tous les médecins à s’aider eux-mêmes d’une manière proactive via des stratégies de prévention. Ils peuvent aussi aider les médecins malades via un examen d’évaluation, la prescription d’un traitement et un suivi.  Les programmes et les ressources favorisant la santé psychologique devraient être disponibles pour tous les médecins. Une identification et une intervention précoces ainsi que des dispositions spéciales pour la prise en charge des médecins-patients devraient exister pour préserver la santé des médecins. Encourager une culture d’assistance et d’acceptation est essentiel pour une prise en charge et une intervention précoces et réussies.
  5. Les médecins risquant d’abuser de l’alcool ou de médicaments devraient avoir accès un traitement adéquat et confidentiel et un grand soutien professionnel. Les AMN devraient développer des programmes de retour à la vie professionnelle pour les médecins avec une supervision appropriée à la fin de leur période de traitement. Il faudrait davantage de recherches pour déterminer les meilleures pratiques de prévention de l’abus de substances parmi les médecins et ceux en formation postdoctorale.
  6. Les médecins ont droit à des conditions de travail qui les aident à limiter les risques d’épuisement et qui leur donnent la possibilité de prendre soin de leu santé en équilibrant leurs engagements professionnels et leur vie et responsabilités personnelles.  Un nombre d’heures de travail consécutives et des horaires de travail   raisonnables, des périodes de repos et des congés  adaptés font partie des conditions de travail optimales. Les organisations concernées devraient travailler sur l’autonomie professionnelle et l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Elles devraient impliquer les médecins dans les décisions concernant leur vie professionnelle. Les conditions de travail ne devraient pas compromettre la sécurité des patients ou des médecins. Enfin, les médecins devraient participer en tant que partenaires et leaders dans l’établissement de conditions de travail optimales.
  7. Les postes de travail devraient promouvoir des conditions propices à des modes de vie sains dont l’accès à des choix alimentaires, à de l’exercice physique, à des conseils diététiques et  à un soutien pour arrêter de fumer.
  8.  Les médecins, ceux en formation postdoctorale et les étudiants en médecine ont le droit de travailler dans un lieu où ne règnent pas le harcèlement et la violence. Cela inclut d’être dispensé d’attaques verbales et physiques.
  9. Les médecins, ceux en formation postdoctorale et les étudiants en médecine ont le droit à un lieu de travail basé sur la collaboration et sécurisé. Les lieux  de travail devraient favoriser le travail d’équipe interdisciplinaire. La communication entre les médecins et tous les autres professionnels sur le lieu de travail devrait se dérouler dans un esprit de coopération et de respect.  Il faudrait prendre en considération l’éducation  à la communication, à la prise de conscience et au  travail d’équipe.
  10. Le personnel médical devrait être formé à la communication et à l’identification, à l’approche et à la communication avec les personnes potentiellement violentes. Les   établissements de santé devraient les protéger de la violence et  instaurer des contrôles routiniers des risques de violence, notamment dans les hôpitaux psychiatriques et les services d’urgence.   Le personnel victime de violence ou signalant la violence devrait être soutenu par la direction et se voir offrir une assistance médicale, psychologique et juridique.
  11. Les facultés de médecine et les centres hospitaliers universitaires devraient installer et entretenir  des services confidentiels pour les médecins en formation postdoctorale et les étudiants en médecine, sensibiliser davantage à de tels programmes et à leur accès.  Les lieux de travail devraient penser à proposer des consultations médicales aux médecins en formation postdoctorale afin d’identifier tout problème de santé à la fin de la formation postdoctorale.
  12. Le soutien pour tous les médecins sur le lieu de travail  devrait être facilement accessible et confidentiel. Les médecins examinant et traitant leurs confrères ne devraient pas avoir à faire un rapport sur les soins prodigués au médecin-patient à l’image ce qui se pratique pour les patients non médecins.
Prise de position