Prise de position de l’AMM sur la réécriture du génome humain


Adoptée par la 71e Assemblée générale de l’AMM (en ligne), Cordoue, Espagne, Octobre 2020

 

PRÉAMBULE

La réécriture du génome, rendue possible par de récentes avancées scientifiques permet de procéder à des insertions et à des suppressions au sein de l’ADN, avec une précision suffisante pour modifier une seule paire de bases dans le génome d’un organisme. Des laboratoires dans le monde entier s’emploient déjà à faire progresser la recherche fondamentale en réécriture génomique.

La réécriture du génome humain progresse également rapidement, des essais cliniques sont désormais en cours sur la prévention et le traitement de plusieurs pathologies humaines. Ces essais, qui en sont actuellement aux prémices, sont réalisés avec des cellules somatiques (non reproductives) et ne sauraient introduire des modifications génétiques pouvant être transmises à des descendants ou à des cellules germinales (reproductives).

Bien que la réécriture du génome présente un fort potentiel d’amélioration de vies humaines, cette technologie soulève des questions éthiques, légales et sociales profondes, ainsi que des questions d’efficacité. Ces questions sont d’autant plus préoccupantes que les orientations éthiques et règlementaires sont rapidement dépassées par les progrès technologiques.

Les préoccupations relatives à la sécurité de la réécriture génomique concernent notamment les risques d’effets pléiotropiques involontaires ou imprévus, de réécriture d’une séquence génomique non visée (réécriture de la mauvaise séquence), de modification indésirable de la cible (réécriture imprécise), de mosaïcisme (lorsque certaines cellules portent la modification, mais d’autres non) et de réaction immunologique anormale.

Les questions éthiques relatives à la réécriture du génome comprennent la crainte que cette technique soit utilisée à des fins non thérapeutiques (amélioration de l’état de santé ou traitement d’une pathologie) d’amélioration. Des inquiétudes ont également été soulevées au sujet du risque que des modifications apportées à des cellules germinales puissent créer de nouvelles catégories de personnes définies par la qualité de leur génome modifié, ouvrant la voie à l’eugénisme et accentuant les inégalités sociales ou à une utilisation coercitive de cette technique.

Les effets des modifications épigénétiques sont imprévisibles et la manière dont ils influeront sur les systèmes biologiques sains existants, y compris dans leurs interactions avec d’autres variantes génétiques et les normes sociétales fait l’objet d’inquiétudes. Une fois introduites dans la population humaine, les altérations génétiques seraient difficiles à supprimer et ne resteraient pas limitées à une seule communauté ou à un seul pays. Les effets resteraient incertains pour de nombreuses générations ultérieures et des modifications délétères pourraient être dispersées dans toute la population.

Les questions juridiques qui se posent comprennent la clarification de la gestion des risques et l’imputation des obligations et des responsabilités, notamment lorsque les modifications peuvent être transmises aux générations suivantes. Il existe également des risques, à la fois juridiques et éthiques, associés à la prolifération de kits CRISPR (Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats, soit « courtes répétitions palindromiques groupées et régulièrement espacées ») non validés adressés directement aux consommateurs et qui leur permettent de réécrire leur génome en toute indépendance chez eux.

Sur le plan social, les débats portent sur les craintes que les bénéfices de la réécriture du génome soient inéquitablement répartis (seuls les riches y auraient accès) et aggravent les inégalités de santé et de soins.

L’AMM réaffirme les principes contenus dans sa déclaration de Reykjavik sur l’utilisation de la génétique dans les soins de santé, sa déclaration de Taipei sur les considérations éthiques cocnernant les bases de données de santé et les biobanques et dans sa déclaration d’Helsinki sur les principes éthiques applicables à la recherche médicale impliquant des êtres humains ; ; et appelle à la mise en œuvre des recommandations suivantes.

 

RECOMMANDATIONS

  1. La réécriture du génome humain, comme toutes les interventions médicales, devrait être fondée sur des preuves appropriées recueillies par le biais d’études menées scientifiquement et approuvées sur le plan déontologique.
  2. Aux fins de l’utilisation de cellules germinales à des fins de recherche, la réécriture du génome de cellules germinales ne devrait être permise que dans un cadre juridique et éthique distinct de celui qui s’applique à la réécriture du génome de cellules somatiques.
  3. Les gouvernements devraient :
  • élaborer des cadres règlementaires solides et applicables portant sur la réécriture génomique dans leur pays ;
  • exhorter à l’élaboration permanente d’un consensus international, fondé sur la science et l’éthique afin de déterminer les applications tolérables de la réécriture du génome de cellules germinales.
  1. Les membres constituants de l’AMM devraient :
  • se tenir informés des progrès de la recherche génomique et informer leurs membres des avancées scientifiques en la matière ;
  • défendre une recherche menée aux fins de comprendre : i) les bénéfices et les risques associés à la modification du génome humain, ii) les aspects sociopolitiques, éthiques et juridiques de la réécriture de cellules germinales humaines et iii) la nécessité d’associer les médecins à la réécriture génomique à des fins thérapeutiques ;
  • élaborer et promouvoir des orientations éthiques pour la réécriture génomique à l’attention de leurs membres, tout en tenant compte des points de vue de la société, du consensus professionnel, des lois et règlementations nationales et des normes internationales ;
  • plaider pour l’élaboration de lois et de règlementations relatives à la réécriture génomique conformes à la fois aux normes nationales et internationales ;
  • plaider en faveur d’une accessibilité égalitaire d’une réécriture génomique sûre, lorsqu’elle est efficace, à tous les utilisateurs qui en ont besoin.
  1. Les médecins devraient :
  • se former aux aspects techniques, déontologiques, sociaux et juridiques de la réécriture génomique ;
  • se familiariser avec les cadres éthiques locaux et internationaux qui régissent la réécriture génomique ;
  • se conformer à toutes les normes éthiques applicables aux recherches autorisées dans ces domaines, en particulier le principe du consentement éclairé.
Prise de position
Cellules somatiques, Consentement éclairé, génie génétique, Modification des cellules germinales, Modification génomique, Réécriture génomique, Thérapie génique