Prise de position de l’AMM sur la résistance aux antimicrobiens


Adoptée par la 48e Assemblée Générale Somerset West, République d’Afrique du Sud, Octobre 1996, révisée par la 59e Assemblée Générale de l’AMM, Séoul, Corée, Octobre 2008
et par la 70e Assemblée Générale, Tbilissi, Géorgie, Octobre 2019

 

PRÉAMBULE

La résistance aux antimicrobiens (RAM) constitue une menace croissante pour la santé publique mondiale, qui dépasse les frontières nationales et les divisions socioéconomiques. La résistance aux antimicrobiens met en péril la santé humaine, animale et environnementale. C’est une crise aux multiples facettes, avec de lourdes conséquences sur les plans humain, sanitaire et économique.

La lutte contre la résistance aux antimicrobiens est devenue une priorité sanitaire absolue au niveau mondial et incombe à tous les pays.

Les médicaments antimicrobiens sont un élément essentiel de la médecine moderne : ils permettent de limiter les risques de procédures complexes comme la chirurgie ou la chimiothérapie.

La résistance aux antimicrobiens menace l’efficacité de la prévention et du traitement d’un nombre croissant d’infections causées par des bactéries, des parasites, des virus et des champignons.

Une résistance aux antimicrobiens apparaît lorsque des microorganismes développent une capacité de résistance à l’action des médicaments antimicrobiens (tels que les antibiotiques, les antifongiques, les antipaludiques et les anthelminthiques).

De plus en plus de rapports font état d’infections causées par les bactéries résistantes à de multiples catégories d’antibiotiques.

Bien que l’apparition d’une résistance aux antimicrobiens soit un phénomène tout à fait naturel de l’évolution, elle est exacerbée par une surutilisation et un mauvais usage des antimicrobiens en médecine humaine et vétérinaire ainsi qu’en agriculture et par son emploi comme stimulateur de croissance ou comme agent de prévention sur des animaux sains.

L’apparition et la propagation de la résistance aux antimicrobiens est en outre aggravée par l’accès restreint à des médicaments efficaces, la vente libre d’antibiotiques dans certains pays, la disponibilité de produits de mauvaise qualité, voire contrefaits, la mauvaise utilisation des antibiotiques dans la production alimentaire, l’essor des déplacements internationaux, le tourisme et le commerce médicaux et la faible application des mesures de lutte contre les infections.

L’autre facteur principal de la résistance aux antimicrobiens est la dissémination d’antibiotiques dans l’environnement, soit du fait de mauvaises pratiques de fabrication ou d’élimination des médicaments non utilisés, soit par les déjections humaines et animales, soit par l’élimination inadéquate des cadavres d’humains et d’animaux.

Dans de nombreux pays, notamment ceux à revenu faible ou moyen, l’accès à des médicaments antimicrobiens efficaces et à des techniques complémentaires, de diagnostic ou de vaccination par exemple, reste une gageure, aggravant la RAM.

Les conséquences de la RAM ne se mesurent pas seulement sur le plan de la santé humaine mais aussi sur le plan économique. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a averti que la résistance aux antimicrobiens avait atteint des niveaux alarmants dans de nombreuses régions du monde et qu’à ce rythme, elle causerait la mort de 10 millions de personnes par an et une diminution de 2 à 3,5 % du PIB mondial d’ici 2050.

À l’allure à laquelle se propage la résistance aux antimicrobiens à travers le monde, elle compromet fortement la réalisation des Objectifs de développement durable des Nations unies et sape les efforts de réduction des inégalités de santé. Sans une action transectorielle harmonisée et coordonnée à l’échelle internationale, le monde se dirige vers une ère post-antibiotique à laquelle des infections courantes et des blessures mineures pourront de nouveau tuer.

La résistance antimicrobienne fait désormais partie des priorités au plus haut niveau politique, notamment pour l’assemblée générale des Nations unies. Elle est également inscrite à l’ordre du jour du G7 et du G20.

Il est nécessaire d’adopter une approche de type « un monde, une santé » (« One Health ») pour réduire au minimum l’utilisation inadaptée ou superflue des antimicrobiens ainsi que pour prévenir et lutter contre la transmission de la résistance existante. Une approche du type « un monde, une santé » permettrait d’assumer qu’il est nécessaire d’agir dans les domaines de la médecine humaine et vétérinaire, mais aussi de l’agriculture.

 

RECOMMANDATIONS

Recommandations générales

  1. Dans la population en général et dans les soins de santé, la principale mesure de prévention des infections consiste à réduire la demande d’antibiotiques. Pour ce faire, il convient de s’attaquer aux déterminants sociaux des maladies infectieuses comme la précarité des conditions de vie et le manque d’assainissement, des mesures qui se traduiront par la diminution des inégalités de santé et de la résistance aux antimicrobiens.
  2. Les nations disposent de différentes ressources pour lutter contre la résistance aux antimicrobiens et doivent coopérer avec l’Organisation mondiale de la santé, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), qui promeuvent le plan d’action mondial qui sert de cadre aux plans d’action nationaux.
  3. L’Association médicale mondiale (AMM) et ses membres constituants devraient plaider pour :
    • un financement de la surveillance des infections résistantes aux médicaments, tant en médecine humaine et vétérinaire que dans les secteurs de l’agriculture, de la production halieutique et de l’agroalimentaire, ainsi que pour une coopération internationale en matière de procédures de partage des données en vue d’améliorer les réponses au niveau mondial ;
    • l’examen, par l’OMS et les autres agences onusiennes du rôle des accords sur le commerce international et des déplacements internationaux dans la propagation de la résistance aux antimicrobiens et la promotion de l’intégration, dans ces accords, de garanties contre la prolifération des pathogènes résistants aux médicaments dans l’alimentation ;
    • l’appui de l’OMS aux mesures d’assouplissement des aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) pour assurer l’accès à des médicaments de qualité à des prix abordables et son opposition à la multiplication des dispositions dites « ADPIC-plus » de ces accords, qui limitent ces assouplissements pourtant efficaces ;
    • l’emploi généralisé de techniques fiables telles que des systèmes de traçabilité pour assurer l’authenticité des produits pharmaceutiques ;
    • un accès égalitaire et un usage approprié des médicaments antimicrobiens de qualité existants et à venir, ce qui exige l’application efficace des listes des médicaments essentiels de l’OMS portant sur les antimicrobiens, à savoir ceux auxquels l’accès est indispensable, ceux à utiliser avec précaution et ceux à n’utiliser qu’en dernier recours. Pour que le programme d’action mondial de l’OMS et les programmes d’action nationaux soient efficaces, l’accès aux établissements de santé, aux professionnels de santé, aux vétérinaires, aux connaissances, à l’instruction et aux informations est vital ;
    • un recours massif à la vaccination pour lutter contre la résistance aux antimicrobiens, ce qui permettra de réduire le fardeau des maladies infectieuses et par voie de conséquence de réduire le besoin d’antimicrobiens, limitant ainsi l’apparition d’une résistance à ces derniers ;
    • que les organisations internationales chargées de la santé et les gouvernements amplifient leurs actions, se coordonnent pour promouvoir une utilisation appropriée des antibiotiques et travaillent ensemble à réduire la résistance aux antimicrobiens par une approche de type « un monde, une santé », qui reconnaisse que les santés humaine, animale et environnementale sont inextricablement liées afin d’enrayer la propagation de la résistance.
  4. L’Association médicale mondiale et ses membres constituants devraient encourager leurs gouvernements respectifs à :
    • accroître le financement de la recherche fondamentale et appliquée visant à mettre au point des agents antimicrobiens, des outils de diagnostic et des vaccins (notamment des vaccins antimicrobiens innovants) et à bien utiliser ces dispositifs thérapeutiques ;
    • assurer l’équilibre entre les ressources financières et techniques pour le développement de médicaments antimicrobiens, de vaccins et d’outils de diagnostic innovants ainsi que de méthodes novatrices de prévention et de lutte contre les infections, à la fois dans les domaines de la médecine humaine et vétérinaire et dans l’agriculture ;
    • appuyer des efforts de recherche et développement de nouveaux agents et vaccins antimicrobiens et de tests de diagnostic rapide qui soient dictés par les besoins et conformes aux principes détaillés dans la déclaration politique issue de la réunion de haut niveau de l’Assemblée générale des Nations unies sur la résistance aux agents antimicrobiens, adoptée en septembre 2016, à savoir l’accessibilité financière, l’efficacité, l’efficience et l’équité;
    • prendre des mesures règlementaires en vue de maîtriser la pollution environnementale qui permet la dissémination des gènes résistants aux antibiotiques dans le sol, l’eau et l’air.
    • former un nombre suffisant de spécialistes en maladies infectieuses cliniques dans chaque pays, condition indispensable pour combattre la résistance aux antimicrobiens et les infections acquises à l’hôpital.

Au niveau national

  1. Les membres constituants devraient exhorter leurs gouvernements à :
    • exiger que les agents antimicrobiens ne soient disponibles que sur prescription d’un professionnel de santé ou un vétérinaire et distribués ou vendus par des professionnels ;
    • lancer des campagnes nationales de sensibilisation aux conséquences dangereuses d’une surutilisation et d’un mauvais usage des antibiotiques auprès du grand public. Ces campagnes devraient être appuyées par la fixation d’objectifs nationaux pour accroître la sensibilisation de la population ;
    • soutenir leurs associations professionnelles, la société civile et les systèmes de soins de santé afin qu’ils supervisent l’adoption de comportements adéquats éprouvés en vue d’assurer un emploi approprié des antibiotiques et de mettre fin à leur surutilisation ;
    • assurer l’accès à des outils de diagnostic adéquats et utilisables sur les lieux d’intervention tels que les hôpitaux ou les cliniques afin d’informer les processus de décision et ainsi éviter la prescription inadaptée d’antibiotiques ;
    • commander le recueil de données sur l’usage d’antibiotiques, les prescriptions, les prix, les profils de résistance et les échanges commerciaux, tant dans le domaine de la prestation de soins de santé que dans celui de l’agriculture. Ces données devraient être mises à la disposition du grand public ;
    • appuyer la mise en œuvre de programmes efficaces de gestion antimicrobienne et de formation au bon usage des agents antimicrobiens et à la lutte contre les infections ;
    • poursuivre activement le déploiement d’un système de surveillance national de fourniture des antimicrobiens et de la résistance aux antimicrobiens. Les données issues de ce système devraient être comparées ou intégrées à celles du réseau mondial de veille de l’OMS.
    • Le suivi de l’utilisation d’antimicrobiens dans l’élevage et la production alimentaire doit être suffisamment précis pour assurer l’obligation de rendre des comptes.
  2. Les membres constituants devraient :
    • encourager les facultés de médecine et les programmes de formation continue à renouveler leurs efforts pour former les médecins à l’emploi approprié des antibiotiques, y compris à leur utilisation en pratique ambulatoire et aux bonnes pratiques de lutte contre les infections. Les médecins pourront à leur tour informer le grand public ;
    • encourager la formation de leurs membres aux différents aspects de la résistance aux antimicrobiens, y compris la bonne gestion des antimicrobiens, leur bonne utilisation et les mesures de lutte contre les infections, y compris l’hygiène des mains ;
    • plaider pour la publication et la communication d’informations locales relatives aux modèles de résistance, aux directives cliniques et aux options de traitement recommandées aux médecins ;
    • en collaboration avec les autorités vétérinaires, encourager les gouvernements à restreindre, par des mesures règlementaires, l’utilisation des antibiotiques dans l’agriculture, notamment l’élevage, y compris leur emploi à des fins de prophylaxie et de stimulation de la croissance et à n’autoriser que les catégories d’antimicrobiens essentiels en médecine humaine ;
    • soutenir une règlementation qui empêche les conflits d’intérêts entre vétérinaires lorsque ces derniers sont à la fois prescripteurs et vendeurs d’antibiotiques;
    • envisager d’utiliser les réseaux sociaux pour informer le grand public et promouvoir les bonnes utilisation et élimination des antibiotiques ;
    • encourager les parents à respecter pour leurs enfants les calendriers de vaccination recommandés. Les adultes également devraient avoir facilement accès aux vaccins contre la grippe et les infections à pneumocoque, entre autres.

Au niveau local

  1. Les professionnels de la santé et les systèmes de santé ont un rôle essentiel à jouer dans la préservation des médicaments antimicrobiens.
  2. Les médecins devraient :
    • avoir accès à des informations exactes, fiables, scientifiquement fondées et exemptes de tout conflit d’intérêts et mener, ou à tout le moins participer activement aux programme de bonne gestion mis en place par les hôpitaux, les cliniques et les autorités pour améliorer l’utilisation des antibiotiques ;
    • sensibiliser leurs patients à l’antibiothérapie, à ses risques et ses avantages, à l’importance du strict respect du traitement prescrit, aux bonnes pratique de prévention des infections et aux problèmes que pose la résistance aux antibiotiques ;
    • promouvoir les mesures d’hygiène (notamment d’hygiène des mains) et les autres mesures de prévention des infections et assurer qu’elles sont respectées.

 

Prise de position
Antibiotiques, Normes, Santé publique