Prise de Position de l’AMM sur la Degradation de l’Environnement et sur une Bonne Gestion des Produits Chimiques


Adoptée par la 61e Assemblée Générale de l’AMM, Vancouver, Canada, Octobre 2010
et amendée par la 69e Assemblée Générale de l’AMM à Reykjavik, Islande, Octobre 2018

 

PRÉAMBULE

  1. La présente déclaration s’attache à un aspect essentiel de la dégradation de l’environnement : la pollution environnementale par des substances chimiques industrielles et domestiques. Elle met en lumière la manière dont les produits chimiques dangereux concourent à la dégradation de l’environnement et le rôle que peuvent jouer les médecins dans la gestion avisée de ces substances aux fins d’un développement durable, notamment dans le domaine des soins de santé.
  2. Une gestion inappropriée des produits chimiques peut avoir des conséquences nocives sur la santé humaine et les droits humains, notamment pour les populations les plus vulnérables.
  3. La plupart des produits chimiques auxquels les êtres humains sont exposés proviennent d’industries. Il peut s’agir de gaz toxiques, d’additifs alimentaires, de produits ménagers, de cosmétiques, d’intrants agricoles ou de substances utilisées à des fins thérapeutiques, comme des médicaments et des compléments alimentaires. L’attention du grand public s’est récemment concentrée sur les effets des produits chimiques artificiels (ou de synthèse) sur l’environnement, notamment certains produits industriels ou agrochimiques et sur les nouveaux modèles de répartition des substances naturelles induits par l’activité humaine. À mesure que les composés chimiques se multipliaient, les gouvernements et les organisations internationales ont commencé à adopter une approche plus exhaustive lors de l’élaboration de règlementations en matière de sécurité. La quantité croissante de déchets en plastique dans l’environnement est également très préoccupante et il est temps de prendre des mesures pour y remédier.
  4. Bien qu’il incombe prioritairement aux gouvernements d’établir un cadre de protection de la santé publique contre les risques chimiques, l’Association médicale mondiale, au nom de ses membres, insiste sur la nécessité d’exposer les risques que ces substances font peser sur la santé humaine et présente ci-après des recommandations.

CONTEXTE

Produits chimiques préoccupants

  1. Au cours des cinquante dernières années, l’utilisation des produits chimiques s’est massivement accrue, tant dans l’agriculture, avec les pesticides et les fertilisants, que dans l’industrie de production de biens (de consommation ou industriels) avec les produits de synthèse1.
  2. Les inquiétudes portent principalement sur les produits chimiques, qui persistent dans l’environnement, présentent un taux de dégradation faible, s’accumulent dans les tissus humains et animaux (et se concentrent au fil de la chaîne alimentaire) et qui ont de graves conséquences sur la santé humaine et l’environnement (notamment à de faibles concentrations). Certains métaux présents naturellement dans l’environnement comme le plomb, le mercure et le cadmium, utilisés dans l’industrie, suscitent également des préoccupations. Les progrès de la recherche en matière de santé environnementale, en particulier pour ce qui a trait aux méthodes d’échantillonnage environnemental et humain et aux techniques de mesure, ainsi qu’une meilleure information concernant les effets éventuels d’une faible dose sur la santé humaine, ont contribué à étayer les inquiétudes émergentes.
  3. Les effets des émissions de produits chimiques sur la santé peuvent être directs (immédiats) ou indirects. Les effets indirects des émissions de produits chimiques sur la santé sont dus à la dégradation de la qualité de l’eau, de l’air, de l’alimentation, ainsi qu’aux altérations des systèmes régionaux et mondiaux comme les marées rouges (pollution par phycotoxine paralysante) ou les atteintes à la couche d’ozone et au climat, auxquelles ces émissions peuvent contribuer.

Mesures nationales et internationales

  1. Le type de règlementation des produits chimiques varie amplement à la fois sur le territoire d’un même État et entre les pays et peuvent aller des contrôles volontaires à des lois statutaires. Il est essentiel que tous les pays s’acheminent vers une approche des contrôles règlementaires nationale, homogène, normalisée et fondée sur la loi. En outre, les règlementations internationales doivent être cohérentes de manière à ce que les pays en développement ne soient pas forcés par leur situation économique à accepter des niveaux d’exposition toxique élevés.
  2. Les produits chimiques de synthèse comprennent toutes les substances qui sont produites via des activités humaines ou qui en sont issues, comme les produits chimiques d’emploi industriel ou ménager, les engrais, les pesticides, les substances chimiques contenues dans les marchandises et les déchets, les médicaments disponibles sur prescription ou non et les compléments alimentaires et les sous-produits générés involontairement dans le cadre de processus industriels ou lors d’incinérations, comme les dioxines. En outre, les nanomatériaux peuvent exiger des règlementations particulières explicites qui transcendent les cadres actuels.

Approche stratégique de la gestion internationale des produits chimiques

  1. Les nombreux accords internationaux sur les substances chimiques n’ont pas permis de limiter la pollution de l’environnement mondial par les produits chimiques dangereux, il est donc nécessaire d’adopter une approche plus complète de ces produits. Les raisons pour lesquelles cette pollution perdure sont la résistance des entreprises, le manque absolu de contrôle dans certains pays, la faible sensibilisation aux risques potentiels, l’incapacité à appliquer le principe de précaution, la non-ratification des différents traités et conventions et le manque de volonté politique. L’Approche stratégique de la gestion internationale des produits chimiques (ASGIPC) a été adoptée à Dubaï le 6 février 2006 par les délégués de plus de cent gouvernements et des représentants de la société civile. Il s’agit d’un programme d’action mondial mais volontaire, visant à assurer une gestion avisée des produits chimiques tout au long de leur cycle de vie pour que d’ici 2020, ils soient produits et utilisés d’une façon qui limite leurs effets néfastes sur la santé humaine et l’environnement. L’ASGIPC concerne les produits chimiques agricoles comme industriels, qui se trouvent dans les marchandises comme dans les déchets, à tous les stades de leur cycle de vie : fabrication, utilisation et mise au rebut.

Déchets en plastique

  1. Le plastique est entré dans nos vies depuis plus de cent ans et il est régulièrement utilisé par tout un chacun, sous une forme ou une autre. Bien que des variétés biodégradables fassent aujourd’hui leur apparition, la plupart des plastiques se fragmentent très lentement, ce processus de décomposition pouvant durer des centaines d’années. Cela signifie que la plupart les plastiques qui ont été fabriqués depuis l’invention de cette matière sont encore sur la Terre, à moins qu’ils n’aient été brûlés, produisant ainsi une fumée empoisonnée qui pollue l’atmosphère.
  2. L’utilisation de plastique provoque l’accumulation de déchets dans les décharges et dans les espaces naturels terrestres ou marins, l’ingestion de plastique par des animaux, la fuite de substances chimiques contenues dans le plastique et l’éventuelle transmission de ces produits à la nature et aux êtres humains. Les animaux se retrouvent également souvent enchevêtrés et piégés dans des déchets en plastique. De nombreux plastiques utilisés aujourd’hui sont des halogénés ou contiennent d’autres additifs employés au cours du processus de fabrication, qui peuvent avoir des effets néfastes sur la santé (cancérigènes ou perturbateurs endocriniens).
  3. Notre utilisation actuelle du plastique n’est pas durable : en accumulant les déchets, nous contribuons à la dégradation de l’environnement et à la détérioration de la santé. Il est dès lors nécessaire que nous nous dotions de règlementations spécifiques pour lutter contre la contamination de l’environnement par les déchets en plastique à fragmentation lente et l’incinération de ces déchets, qui crée souvent des sous-produits toxiques.

RECOMMANDATIONS DE L’ASSOCIATION MÉDICALE MONDIALE (AMM)

  1. En dépit des initiatives nationales et internationales, la pollution de l’environnement due à une fabrication et à une utilisation non contrôlées des produits chimiques continue de mettre en danger la santé publique mondiale. Les preuves des liens entre certains produits et certains troubles de la santé sont solides mais nous sommes loin d’avoir testé les conséquences environnementales de tous les produits chimiques. Cela est particulièrement vrai des produits chimiques les plus récents et des nanomatériaux, notamment à faible dose et sur des longues durées. La pollution par le plastique de notre environnement naturel, y compris la mer, où le plastique se décompose en particules minuscules est également alarmante. Les médecins et le secteur de la santé doivent régulièrement prendre des décisions au sujet de patients et du grand public sur la base des données existantes. Les médecins reconnaissent donc le rôle significatif qu’ils ont à jouer pour combler l’écart entre l’élaboration de politiques, la gestion des produits chimiques et la réduction des risques pour la santé humaine.
  2. L’Association médicale mondiale réaffirme son engagement en faveur de l’environnement, de la protection de la santé et de la vie et formule les recommandations suivantes :

MOBILISATION

  1. Les associations médicales nationales devraient appeler à l’adoption d’une législation qui vise à réduire la pollution chimique, à mettre en lumière les responsabilités des fabricants de produits chimiques et l’exposition des êtres humains aux produits chimiques, à détecter et à réaliser le suivi des produits chimiques dangereux à la fois dans l’organisme humain et dans l’environnement et qui permette de réduire les effets sur la santé de l’exposition à des produits toxiques, en accordant une attention particulière à la fertilité des femmes et des hommes et à la vulnérabilité des êtres humains pendant la vie in utero et la petite enfance.
  2. Les associations médicales nationales devraient exhorter leurs gouvernements à soutenir les efforts internationaux visant à limiter la pollution chimique par une gestion et une élimination sensée des produits chimiques, ou leur remplacement lorsqu’il existe une alternative plus sûre (comme dans le cas de l’amiante), en veillant à ce que les pays développés aident les pays en développement à parvenir à un environnement sain et à assurer une bonne santé à l’ensemble de leur population.
  3. Les associations médicales nationales devraient s’efforcer d’améliorer la collaboration intersectorielle entre les ministères et les organismes chargés de l’environnement et de la santé publique.
  4. Les associations médicales nationales devraient sensibiliser le grand public aux risques associés aux produits chimiques, y compris les plastiques et aux mesures qui peuvent être prises à cet égard.
  5. Les méthodes modernes de diagnostic et de traitement reposent largement sur l’utilisation unique de matériel neuf ou stérile emballé comportant plusieurs composants en plastique, qu’il s’agisse de l’instrument ou de son conditionnement. Les associations médicales nationales devraient encourager la recherche et la diffusion de pratiques permettant de réduire ou d’éliminer l’emploi de ces éléments qui contribuent à la dégradation de l’environnement.
  6. Les médecins et les associations médicales nationales devraient plaider pour la protection de l’environnement, la communication de l’ensemble des composants des produits, un développement durable, un secteur de la chimie et des hôpitaux respectueux de l’environnement au niveau local, national et continental.
  7. Les médecins et les associations médicales nationales devraient appuyer l’élimination du mercure et des produits chimiques persistants, bioaccumulatifs et toxiques dans les équipements et les produits médicaux et l’arrêt de l’incinération des déchets de ces produits, qui pourrait causer une diffusion supplémentaire de substances toxiques.
  8. Les médecins et les associations médicales devraient soutenir l’adoption du système général harmonisé de classification et d’étiquetage des produits chimiques (SGH) et de lois visant à imposer une évaluation de l’impact environnemental et sanitaire de tout nouveau produit chimique avant son introduction sur le marché ou de toute nouvelle installation industrielle.
  9. Les médecins devraient encourager la publication des preuves des effets des différents produits chimiques et des plastiques, selon leurs doses, sur la santé humaine et sur l’environnement. Ces publications devraient être mises à la disposition des médias, des organisations non gouvernementales (ONG) et des citoyens, au niveau local comme international.
  10. Les médecins et les associations médicales devraient plaider pour le développement de systèmes efficaces et sûrs de collecte et d’élimination des produits pharmaceutiques non consommés. Ils devraient également encourager l’introduction de systèmes efficaces de collecte et de mise au rebut des déchets en plastique.
  11. Les médecins et les associations médicales devraient encourager les efforts visant à réduire la fabrication, l’utilisation des emballages et des sacs en plastique et leur remplacement par des matériaux écologiques et à stopper leur dissémination dans l’environnement. Ces efforts pourraient conduire à l’adoption de mesures encourageant le recyclage et de lois limitant l’utilisation d’emballages et de sacs en plastique.
  12. Les médecins et les associations médicales devraient appuyer les efforts de réhabilitation et de remise en état de zones où l’environnement a été dégradé sur les principes du pollueur-payeur et de précaution et militer pour que ces principes soient intégrés à la législation.
  13. L’AMM, les associations médicales nationales et les médecins devraient exhorter les différents services des gouvernements à collaborer pour assurer l’adoption de règlementations cohérentes.

INITIATIVE

L’AMM :

  1. soutient les objectifs de l’Approche stratégique de la gestion internationale des produits chimiques (ASGIPC), qui encourage les bonnes pratiques telles que le remplacement par une substance plus sûre, la réduction des déchets, la construction durable et non toxique, le recyclage, ainsi que la manipulation sûre et durable des déchets dans le secteur de la santé ;
  2. avertit que ces pratiques relatives aux produits chimiques doivent être combinées à des efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur des soins de santé et d’autres sources pour éviter que ces émissions n’aggravent le réchauffement climatique ;
  3. invite instamment les médecins, les associations médicales nationales et les États à travailler ensemble à la création de systèmes d’alerte afin d’assurer que le personnel des systèmes de soins de santé et les médecins soient informés de tout accident industriel présentant des risques et reçoivent des informations exactes en temps utile sur la gestion de ces urgences ;
  4. exhorte les organisations locales, nationales et internationales à veiller à la production durable, au remplacement par des alternatives sûres, à la création d’emplois sûrs et respectueux de l’environnement et à la consultation du personnel de santé pour assurer que les effets néfastes du développement sur la santé soient anticipés et réduits au minimum ;
  5. souligne l’importance de l’élimination en toute sécurité des produits pharmaceutiques, qui fait partie des responsabilités du secteur des soins de santé et de la nécessité de collaborer à l’élaboration de modèles de bonnes pratiques afin de réduire la part de ce secteur dans le problème des déchets chimiques ;
  6. promeut la classification environnementale des produits pharmaceutiques afin d’encourager la prescription de produits pharmaceutiques moins dangereux pour l’environnement ;
  7. soutient les efforts locaux, nationaux et internationaux visant à réduire l’utilisation d’emballages et de sacs en plastique ;
  8. appuie les recherches en cours sur l’effet des règlementations et du suivi des produits chimiques sur la santé humaine et l’environnement.

L’AMM recommande aux médecins :

  1. de travailler à réduire la quantité de déchets médicaux toxiques dans leur environnement professionnel et l’exposition à ces déchets dans le cadre de la campagne pour des environnements favorables à la pratique des professionnels de la santé lancée par l’Alliance mondiale des professions de santé (AMPS) ;
  2. de travailler à fournir des informations sur les impacts sanitaires associés à l’exposition aux produits chimiques toxiques, sur les manières de réduire l’exposition des patients à des agents particuliers et d’encourager les comportements qui améliorent la santé de tous ;
  3. d’informer leur patientèle de l’importance d’une procédure sûre d’élimination des produits pharmaceutiques non consommés ;
  4. de travailler avec d’autres personnes à combler les lacunes de la recherche au sujet de l’environnement et de la santé (poids et évolution des pathologies imputables à la dégradation de l’environnement, effets des produits chimiques industriels sur les foyers et les communautés locales, effets, y compris sanitaires, de la présence de déchets en plastique dans notre environnement naturel, populations les plus vulnérables et protection de ces populations).

FORMATION PROFESSIONNELLE ET RENFORCEMENT DES CAPACITÉS

L’AMM recommande :

  1. aux médecins et aux associations professionnelles d’aider à sensibiliser les professionnels comme le grand public aux conséquences des polluants chimiques utilisés dans le monde ou présents dans l’environnement sur la santé des personnes ;
  2. la création d’outils permettant aux médecins d’évaluer les risques d’exposition de leurs patients à des produits chimiques ;
  3. aux médecins et à aux associations médicales de créer des formations continues adaptées aux situations locales sur les symptômes, les diagnostics, les traitements et la prévention des pathologies causées par la pollution chimique et aggravées par les changements climatiques ;
  4. que la santé environnementale et la médecine du travail deviennent des sujets centraux de la formation médicale ; que les facultés de médecine encouragent la formation de spécialistes en santé environnementale et en médecine du travail en nombre suffisant.
Prise de position
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