Prise de position de l’AMM sur la responsabilité médicale


Adoptée par la 56e Assemblée générale de l’AMM, Santiago, Chile, Octobre 2005,
réaffirmée par la 200e session du Conseil de l’AMM, Oslo, Norvège, Avril 2015,
et modifiée par la 72e Assemblée générale de l’AMM (en ligne), Londres, Royaume-Uni, Octobre 2021

 

PRÉAMBULE

L’Association médicale mondiale (AMM) souhaite par la présente prise de position aborder les enjeux relatifs à la mise en cause de la responsabilité des médecins et les implications de l’émergence d’une médecine défensive. Certaines parties de cette prise de position peuvent être sans objet pour certains pays, du fait du système juridique, du droit, des traditions sociales, du niveau de bien-être de leur population et de leur situation économique, mais cela ne saurait amoindrir l’importance de la présente politique.

Une culture de la mise en cause de la responsabilité médicale se développe actuellement dans certains pays et contribue à augmenter les coûts de santé, à limiter l’accès aux services de soins et à entraver les efforts permettant d’améliorer la sécurité du patient et la qualité des soins de santé. Dans d’autres pays, les poursuites pour faute médicale sont moins fréquentes, mais les associations médicales nationales de ces pays doivent cependant être conscientes des problèmes et des conditions susceptibles d’augmenter la fréquence et l’exigence des poursuites engagées contre des médecins.

Un certain nombre de régimes de responsabilité du médecin détournent les ressources du système de soin, pourtant limitées, de leur destination, à savoir, les soins du patient, la recherche et la formation médicale. Cette culture de la mise en cause a également estompé la distinction entre négligence et effets indésirables inévitables. Cette situation a conduit à un recours illégitime à la justice et à d’autres systèmes de résolution de litiges pour distinguer les deux, au profit d’une culture qui autorise l’ouverture d’affaires sans autre fondement que la perspective de gains financiers. Le développement d’une telle culture engendre cynisme et défiance vis-à-vis du système médical comme du système judiciaire, avec des conséquences déplorables sur la relation entre médecin et patient.

L’augmentation de la fréquence et de la gravité des poursuites pour faute médicale peut notamment résulter de l’une ou plusieurs des circonstances suivantes :

  • Les progrès des connaissances et des techniques médicales permettent aujourd’hui aux médecins de parvenir à des résultats qui étaient autrefois impossibles, mais qui impliquent cependant parfois des risques considérables.
  • Les organismes de santé privés, d’autres organisations de santé ou les systèmes de santé publics exercent des pressions sur les médecins dans le but de limiter les coûts des soins médicaux.
  • Il existe une confusion entre le droit d’accéder aux soins (le droit d’être soigné, l’obligation de moyen), qui est légitime et le droit à la santé et à son maintien (le droit d’être guéri, l’obligation de résultat), qui ne peut être garanti.
  • Les médias, les groupes de défense des patients, voire les organismes règlementaires jouent un rôle ambigu, en poussant à la méfiance à l’égard des médecins, en mettant en doute leur compétence, leurs connaissances, leur comportement ou la manière dont ils gèrent les patients, et en encourageant ces derniers à déposer plainte contre des médecins.

La judiciarisation croissante et la multiplication des poursuites pour faute professionnelle contre des médecins pourraient conduire, entre autres, à la progression d’une médecine défensive, c’est-à-dire « la pratique consistant à prescrire des examens, des interventions ou des consultations médicaux dont la valeur clinique est sujette à caution dans le but de se prémunir contre d’éventuelles poursuites judiciaires pour erreur médicale »[1]. Selon la situation, la médecine défensive peut prendre la forme d’une intervention, visible (examens et interventions cliniquement non indiqués, prescription d’hospitalisation non nécessaire) ou d’une abstention, invisible (évitement des patients à haut risque ou des interventions potentiellement salutaires, mais risquées).

Il importe de faire une distinction entre un préjudice résultant d’une négligence, soit un manquement aux normes de soin dans le traitement du patient et un préjudice résultant d’effets indésirables survenus dans le cadre de soins médicaux dispensés conformément aux normes de soin.

L’indemnisation des patients ayant subi un préjudice médical doit être déterminée différemment selon que ce préjudice résulte d’une négligence ou d’un effet indésirable survenu au cours des soins, à moins que le pays n’ait adopté un autre système tel qu’un système d’indemnisation sans égard à la responsabilité.

Les lois de chaque juridiction doivent prévoir les procédures permettant d’établir la faute professionnelle médicale et de déterminer le montant de l’indemnité à accorder au patient dans le cas d’une négligence avérée.

La pénalisation de l’avis médical entrave la prise de décision médicale appropriée et ne rend pas service aux patients.

L’augmentation du nombre de décès évitables causés par des erreurs médicales, bien documentée, a conduit des experts à appeler à une amélioration de l’évaluation de la sécurité à l’hôpital. C’est pourquoi il est important d’assurer que les enquêtes prennent en compte le contexte global en identifiant les défaillances du système et en recommandant des pistes d’amélioration de la sécurité des patients.

RECOMMANDATIONS

L’Association médicale mondiale :

1.     invite instamment les gouvernements nationaux à garantir l’existence d’un système de justice médicale fiable dans leur pays respectif. Les systèmes juridiques doivent assurer que les patients soient protégés contre des pratiques préjudiciables et que les médecins soient protégés contre les actions en justice abusives ;

2.     exige que les enquêtes prennent en compte le contexte dans son ensemble, afin de repérer les défaillances systémiques ;

3.     encourage les prestataires de soins de santé à mettre en place des systèmes permettant d’améliorer la qualité des pratiques visant à assurer la sécurité des patients.

 

Les associations médicales nationales devraient envisager avec attention les possibilités suivantes afin d’encourager un traitement juste et équitable des médecins comme des patients :

4.     informer et sensibiliser les médecins à l’importance de disposer de documents clairs et détaillés dans les dossiers de leurs patients ;

5.     élaborer des formations de rattrapage appropriées pour les médecins présentant des compétences ou des connaissances insuffisantes ;

6.     encourager les associations médicales nationales et les groupes d’intérêt spéciaux à produire des protocoles et des directives mis à jour permettant de guider les professionnels de la médecine et le personnel soignant dans l’exercice de leur activité ;

7.     informer le grand public, les médecins et le gouvernement des risques que peuvent présenter les différentes formes de médecine défensive, notamment :

  • la hausse des coûts de la santé ;
  • la dégradation de la relation entre médecin et patient ;
  • la réalisation de tests ou l’administration de traitements non nécessaires ;
  • l’évitement des traitements à haut risque ;
  • la surprescription de médicaments ;
  • la désaffection des jeunes médecins pour certaines spécialités à risque ;
  • la rétivité des médecins ou des hôpitaux à traiter les patients à risque ou leur évitement pur et simple;

8.     sensibiliser le grand public aux risques d’effets indésirables et de dépenses de santé accrues et établir des procédures simples pour permettre aux patients d’avoir des explications dans de tels cas et d’être informés des mesures à prendre pour régler un litige le cas échéant ;

9.     encourager les lieux de travail médicaux à combattre la culture du blame face aux erreurs médicales ou aux effets indésirables et militer pour la confidentialité des procédures d’assurance qualité afin de permettre aux médecins d’exercer la médecine au mieux de leurs compétences sans subir la menace de voir leur responsabilité engagée devant la justice ou des autorités disciplinaires ;

10.  militer pour une protection légale des médecins lorsque les patients subissent des effets indésirables qui ne sont le produit d’aucune négligence ;

11.  mettre en place un soutien émotionnel et pratique pour les médecins mis en cause en raison d’effets indésirables ;

12.  participer à l’élaboration des lois et des procédures applicables à la mise en cause de médecins, en mettant l’accent sur la différence entre erreur médicale et effets indésirables ;

13.  s’opposer activement aux poursuites infondées ou abusives ;

14.  explorer les possibilités non judiciaires de résolution efficace des litiges d’ordre médical, telles que la médiation et l’arbitrage ;

15.  imposer aux médecins de souscrire une assurance adéquate en responsabilité professionnelle ou de disposer d’autres ressources pour se protéger en cas de poursuites, qui soient à la charge des médecins eux-mêmes ou de leur employeur ;

16.  encourager la création de systèmes internes bénévoles, confidentiels et légalement protégés permettant le signalement des effets indésirables ou des erreurs médicales, à des fins d’analyse et de recommandation pour la réduction des erreurs et l’amélioration de la sécurité du patient et de la qualité des soins ;

17.  plaider contre la pénalisation ou la mise en cause pénale croissantes des avis médicaux en cas d’effets indésirables. À l’exception des comportements réellement négligents ou des fautes intentionnelles, la plupart des effets indésirables sont le résultat d’erreurs humaines ou de circonstances échappant à la volonté du médecin et ne sauraient être utilisés pour lui prêter des motivations ou un comportement criminels ;

18.  soutenir les principes énoncés dans la déclaration de Madrid de l’AMM sur la régulation assurée par la profession.

 

[1] « Defensive medicine » Merriam-Webster.com Dictionary, Merriam-Webster, https://www.merriam-webster.com/dictionary/defensive%20medicine. Consulté le 12 mars 2020

Prise de position
Droit civil, Faute médicale, Médecine défensive, Négligence, Système juridique