Prise de postion de l’AMM sur les dépôts de brevet pour les procédures médicales


Adoptée par la 51e Assemblée générale, Tel Aviv, Israël, Octobre 1999,
modifiée par la 60Assemblée Générale de l’AMM, New Delhi, Inde, Octobre 2009
et réaffirmée par la 212e session du Conseil de l’AMM, Santiago, Chili, Avril 2019

 

PREAMBULE

1. Certaines législations considèrent que les procédures médicales peuvent faire l’objet d’un dépôt de brevet.  Les brevets relatifs aux procédures  médicales portent souvent le nom de brevets sur les procédures  médicales. Un dépôt de brevet ou un brevet sur une procédure médicale confère des droits sur certaines techniques mais pas de droits sur de nouveaux  appareils.

2. Les brevets sur les procédures médicales sont interdits dans plus de 80 pays. Cette interdiction correspond aux négociations du Cycle d’Uruguay sur l’Accord du GATT sur les aspects des droits de la propriété intellectuelle liés au commerce (DPIC) : « Les Membres pourront aussi exclure de la brevetabilité (a) les techniques diagnostiques, thérapeutiques et chirurgicales pour le traitement des personnes ou des animaux » (Article 27).

3. L’objectif des brevets est d’encourager les investissements privés dans la recherche et le développement. Or, les médecins, en particulier ceux qui travaillent dans les établissements de recherche, bénéficient déjà d’éléments d’incitation à l’innovation et à l’amélioration de leurs compétences. Ces incitations sont notamment la notoriété, la carrière et l’obligation éthique et juridique d’offrir des soins médicaux de qualité (Code international d’éthique médicale). Les médecins sont déjà rémunérés pour ces activités et des fonds publics sont parfois mis à la disposition de la recherche médicale. L’argument selon lequel les brevets sont indispensables pour stimuler les découvertes de procédures médicales et selon lequel, s’ils n’existaient pas, les patients bénéficieraient de moins de procédures médicales bénéfiques, n’est pas convaincant lorsqu’existent ces autres incitations et mécanismes de financement.

4. Un autre argument voudrait que les brevets soient nécessaires  non pas pour stimuler la découverte mais pour le développement des produits. Cet argument ne tient pas non plus dans le cas des brevets sur les procédures médicales. Contrairement au développement d’un appareil qui exige un investissement dans l’ingénierie, les méthodes de production et la fabrication, le développement d’un brevet sur une procédure  médicale  repose sur les compétences intellectuelles et l’habileté manuelle acquises et perfectionnées par les médecins. Comme indiqué précédemment, si les médecins ont l’obligation de se consacrer à ces activités professionnelles ils en reçoivent aussi la récompense.

5. Les aspects éthiques des brevets sur les appareils médicaux sont sans rapport avec les aspects éthiques des brevets sur les procédures médicales. Les appareils sont fabriqués et distribués par des entreprises alors que les procédures médicales sont « fabriquées et distribuées » par les médecins. Les médecins ont des devoirs éthiques et juridiques envers leurs patients et des devoirs professionnels les uns envers les autres que n’ont pas les entreprises. Ce sont ces devoirs éthiques particuliers qui définissent notamment la médecine en tant que profession.

6. Il n’y a pas a priori de raison de croire que les détenteurs de brevets sur des procédures médicales les mettraient largement à disposition. Les détenteurs de brevets pourraient tenter de maximaliser leurs profits par une large diffusion au moyen d’une licence non exclusive assortie d’une redevance modeste. Ils pourraient aussi diffuser ces procédures de manière plus restreinte en facturant des prix plus élevés à ceux pour lesquels la procédure est  extrêmement importante et qui ont les moyens de la payer. La concurrence entre les  organisations de soins de santé pourrait pousser certaines d’entre elles à négocier des licences exclusives, voire des licences qui restreindraient fortement le nombre des personnes ayant accès à la procédure brevetée. De telles  licences pourraient constituer un avantage à une organisation en attirant des patients si cette organisation est en mesure de faire de la publicité  sur le fait  d’être la seule à proposer dans une région une procédure particulièrement appréciée. Ainsi, dans certains cas tout au moins les détenteurs de brevets médicaux préféreront probablement restreindre l’accès à leurs procédures médicales brevetées.

7. Les brevets sur les procédures médicales peuvent avoir des effets négatifs sur les soins de santé. L’existence d’un brevet sur une procédure médicale pourrait limiter l’accès aux soins médicaux nécessaires et de ce fait compromettre la qualité de ces soins. L’accès pourrait se trouver diminué pour les raisons suivantes:

7.1 Le coût de la prestation médicale serait probablement majoré du fait du paiement des droits et redevances d’exploitation et de l’augmentation de l’assurance médicale en couverture d’éventuels frais de litiges.

7.2 Certains médecins, bien que capables d’exécuter la procédure brevetée, pourraient ne pas obtenir la licence nécessaire. Le nombre de médecins bénéficiant de la licence d’exploitation pourrait être limité parce que certains médecins ne pourront pas acquitter ou ne paieront pas les droits de licence ou les royalties ou parce que le détenteur du brevet refusera de diffuser largement la licence. La limitation du nombre des licences pourrait, dans certains cas, restreindre le libre choix du médecin par le patient.

7.3 L’existence de brevets pourrait  empêcher les médecins de recourir même à des techniques non concernées par ces brevets. Les médecins pourraient  également s’interdire  d’instaurer de nouvelles procédures ou des procédures modifiées dans leur exercice.    Les appareils brevetés peuvent être labélisés s’ils sont brevetés mais pas les procédures. Par conséquent, on ne peut pas toujours savoir d’emblée si l’utilisation d’une technique viole un brevet. Mais comme l’ignorance ne constitue pas un moyen de défense en cas de violation, le médecin, en cas de doute, choisira simplement de s’abstenir d’utiliser la procédure.

8. L’instauration de brevets sur des procédures médicales peut aussi porter atteinte à la vie privée du patient et à l’obligation du médecin de respecter la confidentialité des dossiers médicaux des patients. En effet, lorsque les médecins exercent seuls ou en petits groupes, le moyen le plus efficace pour le titulaire du brevet de détecter d’éventuelles violations est de consulter les dossiers médicaux ou d’interroger les patients. La suppression des éléments d’identification des dossiers ne peut garantir la confidentialité, car quelques détails suffisent souvent à reconstruire l’identité des patients. Ce risque existe surtout dans les petites villes ou les cabinets relativement peu importants.

9. Les  médecins ont l’obligation éthique  à la fois d’enseigner leurs compétences et leurs techniques à leurs confrères et de mettre à jour continuellement leurs connaissances. Les brevets sur les procédures médicales peuvent s’avérer préjudiciables en la matière. Une fois qu’un brevet a été déposé sur une procédure, celle-ci  est entièrement divulguée (c’est l’une des conditions requises pour l’obtention d’un brevet). Toutefois, les praticiens sans licence n’ont pas le droit de l’utiliser. Le fait de limiter le nombre des utilisateurs enfreint l’esprit même du devoir éthique d’enseigner et de diffuser la connaissance. Cette limitation va également à l’encontre de l’obligation de formation continue car le médecin n’a aucun d’intérêt à acquérir des compétences qu’il ne peut pas utiliser légalement.

10. L’obligation d’enseigner et de transmettre la connaissance peut également être sapée si la possibilité de déposer un brevet conduit l’inventeur à retarder la publication ou la communication de ses résultats lors de conférences. Les médecins pourraient alors être tentés de garder le secret sur de nouvelles techniques tant qu’ils n’auront pas rempli toutes les formalités de dépose de brevet. En effet, toute utilisation publique d’une procédure  ou la publication de la description de la procédure avant le dépôt de la demande peut éventuellement invalider la demande de brevet.

11. Les médecins ont aussi l’obligation éthique  d’empêcher que l’appât du gain  influence le caractère libre et indépendant de leur jugement médical (Code international d’éthique médicale – Doc. 17.A). Le fait de briguer, d’obtenir ou d’utiliser un brevet portant sur une procédure médicale peut amener le médecin à enfreindre cette obligation. Les médecins détenteurs de brevets ou de licences pourraient  être tentés de plaider en faveur de ces procédures même en l’absence de toute indication, ou lorsqu’elles se sont pas les meilleurs dans un cas donné.  Les médecins qui n’ont pas de licence pour effectuer une procédure particulière pourraient refuser l’utilisation de ces procédures même si elle constitue dans le cas donné le meilleur choix thérapeutique.

12.  Pour finir, les obligations professionnelles des médecins d’exercer leur profession    avec conscience et dignité (Déclaration de Genève) pourraient être mises à mal par l’existence de brevets sur des procédures médicales. Le spectacle de médecins s’attaquant régulièrement en justice n’a rien qui puisse rehausser le prestige de la profession

POSITION

13. L’Association Médicale Mondiale

13.1 Déclare que les médecins ont une responsabilité éthique de diffuser, si possible, à leurs collègues et au public les informations scientifiques pouvant les intéresser.

13.2 Déclare que le dépôt de brevets pour des procédures médicales compromet gravement la pratique efficace de la médecine  en limitant potentiellement l’accès des patients aux nouvelles procédures médicales.

13.3 Estime que le dépôt de brevets sur les procédures  médicales est contraire aux valeurs éthiques et à celles de la profession médicale qui devraient servir de guide aux médecins tant dans les devoirs fournis au patient que dans les relations entre confrères.

13.4 Encourage les associations médicales nationales à faire tout leur possible pour préserver la motivation des médecins pour faire progresser la connaissance médicale et mettre au point  de nouvelles procédures médicales.

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